EMILE dans des langues autres que l’anglais

Un programme européen en forme de méta-programme
Le projet EMILE dans des langues autres que l’anglais – Transitions réussies entre les différents niveaux d’enseignement¹ est un projet soutenu dans le cadre des politiques éducatives du Conseil de l’Europe, et piloté – entre autres – par Petra Daryai-Hansen de l’université de Copenhague et Evangélia Moussouri, de l’université de Thessalonique. Le titre du programme est en lui-même explicite : il s’agit tout à la fois d’évaluer les raisons de l’absence d’un enseignement d’EMILE avec une « langue autre que l’anglais » dans les États membres du CELV, et d’analyser la manière dont les transitions entre différents niveaux d’enseignement (du primaire à l’université) sont présentées dans les programmes nationaux.
L’enjeu du programme provient de l’analyse de deux travaux récents de l’Agence exécutive européenne pour l’éducation, l’audiovisuel et la culture (Eurydice) qui enquêtent, pour l’une, en 2006, sur « L’enseignement d’une matière intégré à une langue étrangère (EMILE) à l’école en Europe » et pour l’autre, en 2017, sur les « Chiffres clés de l’enseignement des langues à l’école en Europe ». Il en ressort en effet que dans la grande majorité des pays européens :
- « l’intégration d’une matière disciplinaire et d’une langue » autre que la langue de scolarisation est peu développée ;
- au sein de cette modalité d’enseignement, la langue anglaise se taille la part du lion ;
- les « approches plurielles » sont peu connues et employées ;
- la réflexion sur la transition entre niveaux d’enseignements, permettant d’évaluer et échelonner les compétences (grâce aux descripteurs du CECRL ou du CARAP notamment) est notoirement absente.
Ce programme du Conseil de l’Europe se donne ainsi à évaluer… la performance réelle des acquis des grands projets qui ont balisé l’histoire de la politique éducative du Conseil de l’Europe : que sait-on, et que fait-on des avancées du Cadre Européen Commun de Référence des Langues, du Cadre de Référence des Approches Plurielles au sein des institutions éducatives nationales ? En quoi implémentent-elles les curricula d’apprentissage des langues et de l’enseignement en langue des disciplines ? Quelle est leur place dans la formation des maîtres ? Les méthodologies « plurielles » sont-elles connues et utilisées ? Quelles ressources existe-il pour développer l’EMILE en d’autres langues que l’anglais ?
Résultats de l’enquête
Des objectifs concrets
De ce fait, le programme répartir les 55 experts issus de 28 pays en 8 groupes de travail afin de produire des matériaux concrets. Ceux-ci consistent en :
- des recommandations pour la poursuite du développement des programmes d'enseignement et de la formation des enseignants ;
- des supports pédagogiques qui, entre autres, s'appuient sur le CECR ;
- des exemples de portfolios ;
- des suggestions sur la manière d'établir une collaboration entre les écoles, les enseignants et les étudiants à différents niveaux d'enseignement.
Le groupe 1 (coordonné par Joana Duarte et Sílvia Melo-Pfeifer) travaille sur la collaboration entre acteurs éducatifs ; le groupe 2 (Anssi Roiha, Turun Yliopisto, et Heike Speitz) a pour tâche de construire des portfolios ; le groupe 3 (Marina Mattheoudakis) traite des descripteurs et les ressources pour les langues minoritaires et langues de migrants ; le groupe 4 (Ana Kanareva-Dimitrovska) travaille sur l’approche plurilittéraciée de l’enseignement ; le groupe 5 (Mercè Bernaus) sur la conscience plurilingue et pluriculturelle ; le groupe 6 (Pierre Escudé) se donne pour tâche de construire un matériau didactique en intercompréhension intégrée ; le groupe 7 (Beate Lindemann) travaille sur la formation des enseignants ; le groupe 8 enfin (Petra Daryai-Hansen, Satu Koistinen) traite des curricula.
On le voit, l’empan des tâches proposées est large… Mais l’objectif premier est tellement essentiel : apporter la capacité à développer au mieux pour les élèves un apprentissage disciplinaire en y intégrant l’apprentissage d’une nouvelle langue ! C’est ce qui fait la réussite du bilinguisme : on sait qu’il y a difficulté supplémentaire à s’approprier les contenus, parce qu’il y a opacité dans la langue qui vectorise ces contenus, et qui dans un sens, en est le lieu. Désopacifier la langue permet alors de clarifier les contenus. Mais lorsque cette méthodologie est réduite au seul canal d’une seule langue, qui est la langue la plus internationale, le bénéfice s’étrangle de lui-même en étouffant toute capacité de développer le plurilinguisme des futurs citoyens européens. Plurilinguisme qui devrait être la langue nationale d’une Europe intégrée.
Notes :
1. L’acronyme anglais est CLIL LOTE qui signifie : Content and Language Integrated Learnings in Language Other Than English.
2. p. 11 du CECRL (1991-2001).
Rédaction (juin 2022) : Pierre Escudé, professeur des universités, université de Bordeaux