Les répercussions de la Covid-19 sur l’éducation aux langues

La pandémie de Covid sévit depuis plus d’un an maintenant et l’année 2020 a été mouvementée pour les enseignants. La plupart d’entre eux ont dû fait face à des changements constants, de la fermeture des établissements à l’apprentissage en ligne, en passant par la gestion de protocoles de santé et de sécurité et la mise en œuvre des règles de distanciation sociale lors du retour en classe, sans compter les maux de dos et la fatigue oculaire en raison des longues journées passées devant l’ordinateur. Dans notre enquête, nous avons voulu savoir comment les professeurs de langues avaient vécu l’année écoulée et quelle incidence celle-ci avait eu sur leur enseignement et sur les résultats de leurs apprenants.
L’enquête
L’enquête a été élaborée par un groupe de travail composé d’organisations membres du Forum pour le réseau professionnel du CELV, dont Eaquals qui est à l’origine de l’initiative, et du Comité de direction du CELV. L’objectif était de fournir des informations pour nourrir une série d’événements programmés en 2021 au sujet de l’impact de la pandémie sur l’éducation aux langues - notamment deux groupes de réflexion en ligne et un colloque - et surtout, d’identifier comment l’expérience de la pandémie pourrait entraîner des changements à long terme dans l’éducation aux langues.
L’enquête en ligne, qui était disponible en anglais et en français, a été menée au mois de février 2021. Il y a eu 1735 réponses (dont environ la moitié issue de deux pays : la Roumanie et la Grèce) provenant d’un total de 34 pays européens et de quelques pays extra-européens. Après avoir recueilli des informations de base sur la fonction et le contexte professionnel des répondants, l’enquête a porté sur les thématiques suivantes :
- L’articulation entre enseignement à distance, en face à face avec distanciation et enseignement hybride,
- Le temps passé avec les apprenants,
- Les changements dans l’orientation des activités d’enseignement et d’apprentissage,
- L’équipement et la technologie,
- L’incidence sur les examens et autres types d’évaluation,
- Le soutien dont ont pu bénéficier les apprenants et les enseignants,
- Les répercussions sur le développement professionnel continu des enseignants,
- Les effets à la fois sur les résultats et sur les progrès des apprenants.
Il ne s’agit pas de la seule enquête concernant les effets de la pandémie sur l’éducation, mais elle se distingue à plusieurs égards. D’une part elle met l’accent sur l’enseignement des langues en Europe, d’autre part elle permet aux répondants de manifester leurs opinions et ressentis, en leur laissant des espaces de texte libre pour s’exprimer.
Quels ont été les principaux enseignements de l’enquête ?
Quelles ont été les répercussions de la pandémie sur les résultats des apprenants ?
La question la plus importante de toutes concernait probablement l’effet de la pandémie sur les résultats des apprenants. Il n’est pas surprenant que la plupart des répondants au questionnaire aient considéré qu’il y a eu une perte d’apprentissage.
Plus de 60 % des répondants ont observé un recul des résultats chez les apprenants et pour 20 % d’entre eux, la perte d’apprentissage a été « considérable ». Néanmoins, selon 26% des enseignants interrogés, les apprenants ont pu réaliser les mêmes progrès qu’en temps « normal » et 12% ont jugé que la perte d’apprentissage était limitée à certains domaines.
Comment les enseignants ont-ils fait face aux défis posés par la technologie ?
La plupart des enseignants qui ont répondu à l’enquête ont passé au moins une partie de la pandémie à enseigner à distance, ce qui a représenté un véritable défi. Les problèmes rencontrés ont été d’ordre matériel et méthodologique à la fois. La plus grande proportion des personnes interrogées, près de 41 %, ont estimé que les enseignants avaient disposé d’un équipement adapté à un apprentissage/enseignement à distance efficace dès le début de la fermeture des établissements, tandis que 31 % ont déclaré que, même si ce n’était pas le cas au départ, du matériel avait été fourni par la suite. Cependant, le nombre de personnes considérant que l’efficacité de l’apprentissage à distance a été entravée par un manque d’équipement et de logiciels appropriés n’est que légèrement inférieur (plus de 28 %). Faut-il se réjouir que les trois quarts des enseignants aient pu s’adapter à une nouvelle façon d’enseigner ou s’inquiéter du fait que le problème reste entier pour un grand nombre d’entre eux ?
La pandémie a-t-elle modifié l’approche de l’enseignement ?
L’enseignement à distance par vidéo et dans des classes avec distanciation sociale a entraîné dans les deux cas un changement radical de l’environnement d’enseignement. Nous avons demandé aux enseignants de commenter la façon dont la pandémie avait influencé l’ensemble des activités pédagogiques. Dans le diagramme ci-dessous, un pourcentage élevé signifie que les enseignants ont moins pratiqué cette activité qu’en temps « normal » ; un pourcentage faible, que l’activité est restée au même niveau ou a augmenté pendant la pandémie. Les chiffres montrent que les explications grammaticales données par l’enseignant, les exercices de grammaire ainsi que la compréhension écrite et orale sont restés constants ou ont augmenté, alors qu’il y a eu une diminution des discussions en groupe, des travaux menés dans le cadre d’un projet, des jeux et des présentations ou exposés individuels.
Dans la section consacrée aux commentaires, un enseignant a ainsi déclaré :
« Les activités d’apprentissage traditionnelles (grammaire et vocabulaire) étaient plus régulières. En revanche, toutes les activités d’expression orale ont vraiment souffert du manque d’interaction. Les élèves ont eu plus d’occasions de s’entraîner et d’être évalués sur leurs compétences linguistiques non productives. »
L’évaluation : un problème ou une chance ?
L’évaluation et sa fiabilité ont été une préoccupation pour de nombreux enseignants. Plus de 1 000 sur les 1 735 répondants ont estimé qu’une évaluation équitable et fiable avait été impossible. Les enseignants ont eu du mal à vérifier que ni les parents ni d’autres personnes n’avaient aidé les apprenants ; 59 % ont estimé que l’annulation des examens avait eu un effet négatif sur la motivation des apprenants ainsi que sur la fiabilité des résultats.
Comme l’a écrit un enseignant :
« La meilleure évaluation se fait dans le cadre d’un apprentissage en face à face. Les évaluations en ligne sont acceptables en utilisant des formulaires Google avec un minutage déterminé, mais l’enseignant ne sait jamais qui passe réellement le test. (En tant que parent, j’ai aussi passé des tests pour ma fille, car son professeur lui donnait trop de travail... !) »
En revanche, une minorité significative considère que le recours au contrôle continu plutôt qu'aux examens a permis de réduire le stress. Une vision plus positive de l'évaluation pendant la pandémie s’exprimait ainsi :
« L'évaluation continue a permis aux enseignants d'avoir plus facilement un retour régulier sur les progrès et les difficultés des élèves. Ces petits tests ont servi de base à la rétroaction individuelle et ont aidé à interpréter les résultats de l'examen final. Cela a nettement contribué à créer une atmosphère plus détendue, car beaucoup d’élèves ont eu du mal à participer activement tout au long du semestre. »
Il est probable que l’expérience de la pandémie amènera la communauté professionnelle à repenser ses principes et ses pratiques ; ce changement pourrait notamment passer par l’évaluation, dont les objectifs et les modalités, on le constate, suscitent des divergences d’opinions entre les enseignants.
L’impact social et psychologique
Dans les questions ouvertes, les enseignants de langues ont eu de nombreuses occasions de décrire comment eux-mêmes et leurs élèves avaient vécu la pandémie et quels avaient été leurs ressentis. Pour beaucoup, cela a été une épreuve.
« Les parents ne pouvaient pas faire face à la fois à l’enseignement à domicile et au télétravail, de sorte que leurs enfants risquaient souvent de décrocher complètement des cours. Les élèves avec des difficultés d’apprentissage ont eu beaucoup de mal, car leur capacité d’attention s’est complètement effondrée. L’école, c’est la société des enfants et elle leur a beaucoup manqué ces 12 derniers mois. »
De nombreux commentaires ont porté sur la façon dont les apprenants issus de milieux défavorisés avaient pris encore plus de retard dans leur apprentissage, souvent en raison d’un manque d’équipement ou de connexion Internet. Quant à la situation des enfants migrants, elle était encore plus difficile qu’avant la pandémie. À la question : « Les apprenants issus de milieux défavorisés ont-ils été bien intégrés ? », près de 50 % des personnes interrogées ont répondu qu’elles n’étaient pas ou pas du tout d’accord ; seules 20 % l’étaient (les autres n’ont pas exprimé d’opinion).
« J’enseigne dans des écoles publiques, auprès d’enfants et jeunes âgés de 6 à 13 ans. L’effet social et psychologique a été un vrai choc : des enfants qui ne parlent plus, qui ne construisent pas de relations, absence d’apprentissage par les pairs... Je passe plus de temps à essayer de trouver des solutions pour les enfants en difficulté qu’à planifier mes cours. »
Certains enseignants ont estimé ne pas avoir été suffisamment soutenus par leur institution ou autorité éducative. 26 % des enseignants étaient d’accord avec l’affirmation suivante : « Dans mon établissement, les enseignants ont été livrés à eux-mêmes pour organiser leurs activités d’enseignement sans formation ou sans formation complémentaire spécifique en matière d’apprentissage à distance. » Par ailleurs, de nombreux commentaires ont révélé la résilience et la créativité dont ont fait preuve les enseignants pour faire face à la pandémie et aider également leurs apprenants à l’affronter.
« Avoir des cours chaque semaine en se concentrant moins sur le contenu mais plus sur le groupe, par exemple en cuisinant virtuellement, de concert, en riant ensemble en ligne, en organisant des compétitions à distance, en faisant du sport en même temps mais chacun chez soi. »
Les prochaines étapes
L’objectif de l’enquête n’est pas seulement de garder une trace de l’incidence de la pandémie sur l’éducation aux langues. Nous voulons également nous tourner vers l’avenir, développer des outils pratiques qui nous aideront à être mieux préparés si une autre pandémie survient ou si celle-ci se poursuit, enfin, approfondir les leçons tirées de cette expérience. L’expertise en matière d’enseignement à distance peut nous amener à repenser l’équilibre entre enseignement en face à face et enseignement à distance dans les situations d’apprentissage hybride ; par ailleurs nous pourrions tirer des conclusions au sujet de l’évaluation, en particulier sur le rôle que devrait jouer l’évaluation continue dans l’apprentissage hybride.
Les résultats de l’enquête seront analysés plus en détail dans deux groupes de réflexion en mai et septembre 2021. Il y sera notamment question du retard d’apprentissage et de la façon de le rattraper, ainsi que du soutien à apporter aux enseignants et aux apprenants. Les résultats seront présentés lors du colloque prévu fin 2021 et feront l’objet d’une publication. Pour plus d’informations, le site web de l’initiative est d’ores et déjà disponible.
Rédaction (juin 2021) : Frank Heyworth | ancien consultant du CELV, membre fondateur d’Eaquals ; Richard Rossner | expert du CELV et consultant d’Eaquals
Article traduit par Marion Latour | chargée d’études documentaires, France Éducation international