L’enseignement des langues en Norvège

Rolf Steinar Nybøle dirige le Centre national de Norvège pour l’anglais et les langues étrangères dans l’éducation. Créé dans le cadre de la stratégie nationale des langues en 2005, le Centre a pour mission d’améliorer la qualité de l’enseignement des langues et d’accroître la motivation et l’intérêt pour les langues étrangères. Le Centre a plusieurs partenaires et coopère depuis de nombreuses années avec le CELV ; M. Nybøle est l’autorité norvégienne de nomination et vice-président du Comité de direction et du Bureau du CELV. Il est titulaire d’un doctorat de l’université de Kiel (Allemagne) et a travaillé en Norvège comme professeur agrégé d’allemand au niveau universitaire, principalement pour la formation des enseignants. Il a également participé à la mise en œuvre d’un réseau international de centres de langues nationaux, INNLAC, dont France Éducation international est membre.
Quelle est la situation linguistique en Norvège ?
Nous avons actuellement deux langues officielles, le norvégien et le sami, considérées à égalité. Le norvégien est la langue principale alors que le sami est parlé par environ 30 à 40 000 personnes en Norvège. L’année dernière, on a beaucoup insisté sur la langue sami parce que c’était l’année internationale des langues autochtones. Pour la langue norvégienne, il existe deux variétés d’écriture différentes inscrites dans la loi : le bokmål et le nynorsk. Le bokmål, qui signifie langue du livre, date de la période sous domination danoise, qui a duré 400 ans et s’est achevée en 1814. Il ressemble à l’écrit à la langue danoise, tandis que le nynorsk, qui signifie néo-norvégien, remonte aux dialectes norvégiens encore plus anciens. Le nynorsk a été consigné par écrit et normalisé au 19e siècle. Le bokmål est de loin la langue la plus importante et la plus utilisée dans la capitale et dans les grandes villes. Le nynorsk est utilisé par 10 à 15% de la population, plutôt dans les campagnes. À l’école, les Norvégiens apprennent à la fois le bokmål et le nynorsk, mais c’est à la municipalité¹ de décider quelle forme utiliser de manière générale.
Il existe un débat depuis longtemps en Norvège sur le fait d’avoir deux variantes écrites officielles du norvégien, cela fait l’objet de lois et de polémiques au sein de la population. Il y a également une tentative pour protéger le norvégien comme langue nationale car nous sommes sous la pression de l’enseignement supérieur et des universités qui offrent beaucoup de cours en anglais. Une proposition de loi² introduite en mai 2020 vise à renforcer la position du norvégien et à contenir l’omniprésence de l’anglais.
Avec une population d’un peu plus de 5 millions d’habitants, avoir deux variantes écrites du norvégien et la langue sami en plus, c’est une situation très particulière. La question de l’enseignement du norvégien à l’école est importante. On y consacre beaucoup d’heures parce les élèves doivent apprendre, comprendre et lire à la fois le bokmål et le nynorsk. C’est peut-être l’une des raisons qui explique le manque de place accordée à la deuxième langue étrangère. On aimerait y consacrer plus de temps mais les emplois du temps sont chargés.
Autre spécificité de la Norvège, l’arrivée massive d’immigrés, (environ 15 % de la population), a eu une influence sur la politique linguistique. Dans les années 70, nous n’avions pas le « norvégien langue étrangère » mais pour pouvoir enseigner le norvégien aux immigrés, nous avons dû normaliser la langue parlée norvégienne. Auparavant, le norvégien que nous parlions dépendait de la région où l’on habitait. Nous parlons maintenant selon la norme de la région Est, région autour d’Oslo.
LA VALORISATION DES LANGUES PARLÉES PAR LES ENFANTS DE MIGRANTS
En Norvège, on accorde une place importante aux langues parlées par les migrants ; beaucoup d’entre eux sont arrivés tardivement en Norvège, certains ne parlaient même pas l’anglais avant de venir. Leurs enfants doivent apprendre le norvégien et l’anglais mais ils peuvent choisir leur langue maternelle comme deuxième langue étrangère. Si par exemple un élève vient du Brésil, il peut passer un examen national en portugais. La reconnaissance de la langue des migrants par l’école facilite leur intégration. Nous avons essayé de reconnaître toutes les langues parlées en Norvège, ce qui fait une liste de plus de 40 langues que les lycéens peuvent présenter à l’examen.
Qu’est-ce qui caractérise l’enseignement des langues étrangères en Norvège ?
L’anglais est obligatoire, à 6 ans, dès la première année de l’école primaire. Lorsque les élèves commencent à apprendre l’anglais, ils ont entendu tellement d’anglais à la télévision³ qu’ils trouvent que c’est facile et amusant.
La deuxième langue étrangère est introduite en huitième année (13 ans) mais elle n’est pas obligatoire. 75% des élèves choisissent d’apprendre une deuxième langue car c’est obligatoire pour celles et ceux qui veulent continuer dans l’enseignement supérieur. Ils font souvent leur choix en fonction de la popularité de la langue, pour l’instant c’est l’espagnol, puis l’allemand ; le français est en troisième position. Le chinois est très en vogue en ce moment. Et nous avons le russe car ce sont nos voisins, puis l’italien, le japonais et le portugais... Nous enseignons 15 langues étrangères dans les écoles norvégiennes.
« Quand les élèves commencent à apprendre l’anglais, ils sont à l’aise ; il n’est pas nécessaire de leur expliquer pourquoi ils doivent l’apprendre. L’apprentissage de la deuxième langue est lui, beaucoup plus difficile... »
La question de la motivation pour apprendre les langues étrangères
Comment les enseignants et les élèves ont-ils fait face à la crise sanitaire ?
Il y a eu deux défis : comment enseigner et comment évaluer. La Norvège est l’un des pays du monde les mieux équipés au niveau informatique ; 98 % de la population a une connexion Internet ; 92 % possède un ordinateur et 90 % utilise Internet quotidiennement.
Plus les élèves sont âgés, plus ils utilisent l’ordinateur et les tablettes, et à partir de la neuvième année (14-15 ans), tous les élèves utilisent un ordinateur. L’école à distance a permis aux enseignants de faire évoluer la pédagogie. Notre Centre a beaucoup incité les enseignants à utiliser de nouvelles méthodes, dont certaines sont devenues très populaires comme la classe inversée où les élèves doivent faire un travail préparatoire avant le cours. Les professeurs de langue étaient mieux préparés car ils ont l’habitude d’utiliser Internet et les outils informatiques avec leurs élèves. Est-ce que les élèves ont appris suffisamment ? Est-ce que l’enseignement a été efficace ? Les élèves ont obtenu cette année de meilleurs résultats que les années précédentes ; est-ce que cela signifie que nous avons été moins exigeants ou est-ce que les élèves ont eu plus de temps pour se concentrer sur leur travail parce qu’ils étaient confinés la maison ? Des études sont en cours pour apporter des réponses.
Quelles sont les actions actuellement prioritaires dans votre Centre ?
D’un point de vue marketing, la question de la communication est très importante. Nous organisons des séminaires, nous avons de nombreux produits différents mais nous devons beaucoup communiquer car si l’utilisateur final ne sait pas ce que nous faisons, ou trop tard, cela ne sert à rien. Les gens sont habitués à obtenir des informations par le biais d’Internet, des journaux, ou des réseaux sociaux et ils ne savent plus quoi choisir. De plus, les enseignants s’attendent souvent à recevoir un kit prêt à l’emploi alors qu’il est toujours nécessaire d’adapter les ressources à un contexte particulier. De nombreux enseignants s’appuient totalement sur le manuel scolaire, qu’ils suivent fidèlement. Par ailleurs ils manquent de temps. Tout cela explique qu’ils utilisent peu d’autres ressources pédagogiques.
Notre conférence nationale le 26 septembre est un moyen privilégié pour promouvoir nos ressources. Cette année il y avait beaucoup de participants, même d’autres pays, et les échanges ont été intéressants. Pour la prochaine conférence à distance, nous allons viser un public plus international. Les enseignants d’autres pays sont curieux de savoir ce qui se passe en Scandinavie et sur certains points, nous avons peut-être quelque chose à leur apporter.
Notes :
1. En Norvège, les municipalités sont propriétaires des écoles primaires et les régions (fylke) des établissements secondaires.
2. L’objectif principal de la politique linguistique est de garantir que la langue norvégienne soit utilisée et fonctionne dans tous les domaines de la société. La
future loi vise d’abord à donner à la langue norvégienne un statut juridique et une protection renforcée en tant qu’expression la plus importante de la culture,
de l’histoire et de l’identité norvégiennes.
3. En Scandinavie, les films ne sont pas doublés. C’est une des raisons pour laquelle le niveau d’anglais en Scandinavie est élevé.
Interview réalisée en 2020 par Marion Latour, traduction et mise en forme par Bernadette Plumelle et Marion Latour