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Dossier : Les enfants hors l’école

La scolarisation et la formation professionnelle comme voies d’intégration des grands adolescents immigrants

Le cas des mineurs étrangers isolés
Integration and drop-out in first generation immigrant youths. An analysis of the scholastic paths of unaccompanied immigrant minors
Eva Lemaire
p. 45-61

Résumés

Si l’école se veut un lieu d’intégration par excellence pour les adolescents nouvellement arrivés en France, cet article interroge la place de la scolarité dans la trajectoire de jeunes migrants de première génération, les dits « mineurs étrangers isolés», dont le droit au séjour est corrélé à l’intégration et à la réussite scolaire. Après avoir examiné la question de l’accès de ces primo-arrivants au système scolaire français, est analysé le contexte dans lequel s’ancre la scolarité des mineurs isolés, un contexte de précarité sociale mais également un contexte politique, lié à la gestion de l’immigration « subie ». Première enquête à s’arrêter sur le devenir de ces jeunes immigrants, cet article s’appuie sur un suivi de cohorte, sur une période d’environ quatre ans, et sur une série d’entretiens auprès d’anciens mineurs isolés pour déterminer la nature des parcours scolaires de ces jeunes, entre réussites et ruptures multiples.

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Texte intégral

1Alors que l’on a beaucoup écrit sur les trajectoires d’intégration des enfants de migrants en lien avec leurs trajectoires scolaires, nous proposons dans cet article de nous intéresser à une catégorie spécifique de jeunes primo-arrivants, les dits « mineurs isolés étrangers » (MIE). Dans un récent rapport parlementaire (mai 2010), la sénatrice I. Debré décrit la réalité que vivent ces adolescents pris en charge par les services sociaux et affirme que « la délinquance est inexistante chez ces jeunes en quête d’une vie meilleure ». Elle ne fournit pourtant aucune donnée significative sur le devenir de ces jeunes immigrés. Par le biais d’un suivi d’une cohorte – les parcours de 40 jeunes ayant été retracés sur une période d’environ quatre ans – et par le biais d’entretiens auprès d’anciens MIE, réalisés entre janvier et août 2009, la présente recherche propose d’interroger leur parcours d’insertion, au cours duquel la dynamique de scolarisation et de formation joue, nous allons le voir, un rôle essentiel.

Présentation de la population

2Comme le constate notamment A. Étiemble (2002), les MIE forment une population hétérogène. De manière globale, ils répondent à cette définition, proposée par le Haut commissariat aux réfugiés des Nations-Unies : ce sont des enfants de moins de 18 ans qui se trouvent en dehors de leur pays d’origine et qui sont séparés de leurs deux parents ou de leur ancien tuteur légal/coutumier.

3Plusieurs motifs expliquent l’exil solitaire de ces jeunes vers la France. Le premier est évidemment économique. Issus de familles modestes et originaires de pays pauvres, ils espèrent trouver en Europe un endroit où bâtir une vie meilleure. Certains sont les moteurs de cette décision. D’autres ont été incités à émigrer par leurs proches, ou encore par des personnes parfois peu scrupuleuses, leur proposant hébergement et travail dans le pays d’arrivée, les soumettant en réalité à des situations d’exploitation (esclavage moderne, prostitution, travail clandestin, etc.). Des raisons d’ordre familial peuvent également être à l’origine de leur migration. Certains quittent en effet leur pays pour partir à la recherche d’un parent se trouvant en France. Or, lorsque le jeune arrive, il ne parvient pas toujours à retrouver la trace de cette personne ou celle-ci refuse parfois de l’accueillir. À l’inverse, d’autres adolescents, rejetés par leurs proches, décident, quitte à s’éloigner de leur foyer, de tenter leur chance dans un pays dit “riche”. Enfin, les raisons ayant poussé ces jeunes gens à quitter pays et famille peuvent également être d’ordre humanitaire. Les conflits armés, l’instabilité politique, les discriminations qui règnent dans certaines régions du monde font naître le désir de s’installer dans un pays plus sûr. Notons que ces motifs d’immigration ne sont bien sûr pas exclusifs.

4Au vu de cette large palette de raisons pour lesquelles les MIE se trouvent en France, on ne s’étonnera guère de la diversité géographique de leurs origines. De la Chine à Haïti, en passant par l’Afghanistan, la Guinée ou le Maroc, les pays dont sont originaires ces jeunes migrants constituent des bassins d’émigration dont les flux sont susceptibles de varier selon l’actualité internationale.

5Les mineurs isolés constituent une population très majoritairement masculine. On estime que plus des deux tiers d’entre eux sont des garçons. Comme le souligne Laacher (2002), pour des raisons à la fois culturelles et physiques, partir seul de son pays pour émigrer est principalement une affaire d’hommes.

6Concernant l’âge moyen des mineurs étrangers isolés, le rapport 2009 de l’association « Défense des Enfants International », recoupant diverses statistiques, affirme que la majorité des MIE arrivent âgés de 16 à 18 ans.

7Enfin, concernant leur nombre, d’après la sénatrice I. Debré (2010), il y en aurait quelque 6 000 à 8 000 en France, ce dernier chiffre renvoyant à une estimation du nombre de jeunes migrants présents sur le territoire, mais ignorés des services sociaux.

8L’on sait finalement assez peu de choses sur les mineurs étrangers isolés, alors que cela fait maintenant une quinzaine d’années que ce phénomène migratoire s’est accru en France. Aussi, afin de mieux connaître leurs trajectoires scolaires et déterminer le rôle de l’éducation formelle dans leur parcours d’intégration, nous nous sommes tournée vers l’une des principales associations spécialisées dans l’accueil des MIE, en région parisienne ; région faisant partie de celles qui accueillent le plus de ces jeunes immigrants.

Terrain et méthodologie

9La structure d’accueil qui constitue le terrain de la présente recherche est une institution financée par la Région, travaillant en collaboration avec les services franciliens de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Ces derniers réfèrent les dossiers des jeunes à la structure spécialisée. Après avoir passé un entretien, le jeune immigrant intégrera ou non, en commun accord avec l’équipe du centre d’accueil, l’une des soixante places que propose l’association.

  • 1 Les termes en italique sont issus de documents internes à l’association.

10Contrairement à d’autres institutions, celle-ci ne constitue pas un centre d’accueil d’urgence. Elle accueille les jeunes pour une période moyenne d’environ deux ans. Lieu de passage, bulle protectrice, le centre entend accompagner les mineurs isolés dans un « réel parcours d’intégration en France1 ».

11Un soutien matériel et financier est bien sûr de mise, mais l’équipe éducative insiste surtout sur les cours de français qu’elle propose à l’interne, et sur le suivi socio-éducatif dont les jeunes bénéficient. Professeurs, essentiellement de français langue étrangère, et éducateurs spécialisés travaillent donc ensemble à un accompagnement global des jeunes, à moyen terme.

12Les jeunes pris en charge sont logés en hôtel social ou, pour les plus anciens et les plus autonomes, en foyer jeune travailleur, voire en appartement partagé. Ce type d’hébergement traduit la volonté d’accompagner les MIE vers une vie autonome, immergée dans la société d’accueil. Ce parti pris explique que les jeunes qui sont placés au sein de cette structure sont très rarement âgés de moins de 15ans. Dans la mesure où la population des mineurs isolés est très majoritairement composée de grands adolescents, les jeunes migrants qui s’y trouvent apparaissent donc représentatifs de la population globale.

13Avec le concours de cette institution, une étude longitudinale sur les parcours scolaires des mineurs isolés a pu être menée. Sur une période d’environ quatre ans et demi, les parcours d’une cohorte de quarante MIE ont pu être retracés à partir d’entretiens menés avec les éducateurs spécialisés de la structure. La réouverture des dossiers a permis d’obtenir des informations aussi précises et circonstanciées que possible. Lors de l’entretien dirigé, des questions ont été posées aux intervenants sociaux afin de déterminer le profil des usagers, leur parcours scolaire exact ainsi que leur degré d’insertion socioprofessionnelle, tout en prenant en compte les événements importants qui ont ponctué les parcours et qui permettent de mieux comprendre la dynamique dans laquelle se trouvaient les jeunes tout au long de leur parcours.

Caractéristiques de l’échantillon

Âge à l’arrivée en France

Effectifs (sur 40)

14 ans

3

15 ans

5

16 ans

13

17 ans

20

14Le suivi de cohorte a été complété par huit entretiens semi-compréhensifs, menés auprès d’anciens mineurs isolés ayant gardé contact avec la structure. Ces entretiens permettent de mettre en lumière les faits et de les interpréter à l’aune du ressenti et des stratégies de vie explicitées.

Yash : Népalais arrivé à 17 ans, non francophone.
Cissé : Mauritanien arrivé à 16 ans, francophone (FLS*), illettré.
Karim : Mauritanien arrivé à 16 ans, francophone (FLS), illettré.
Thoma : Roumain arrivé à 15 ans, non francophone, illettré.
Ciprian : Roumain arrivé à 14 ans, non francophone.
Jacob : Zaïrois arrivé à 17 ans, francophone (FLS), illettré.
Mohit : Indien arrivé à 16 ans, non francophone.
Kossi : Malien arrivé à 17 ans, francophone (FLS), analphabète.
*Français langue seconde
N.B. : Tous les prénoms ont été modifiés pour garantir l’anonymat des personnes interrogées.

15Le public des MIE et la méthodologie de la recherche ayant été explicités, nous proposons de nous pencher sur les trajectoires effectives de ces jeunes en termes d’intégration scolaire et sociale, en les replaçant dans leur contexte. D’après S.Laacher (2005), l’un des facteurs de réussite et de longévité scolaire réside dans les conditions d’immigration et d’émigration, auxquelles nous allons maintenant nous intéresser.

Les conditions d’immigration et d’émigration et leurs impacts sur la trajectoire scolaire

16Si la présence en France, plutôt que dans d’autres pays européens, des mineurs isolés peut être attribuée à des concours de circonstances, aucun jeune immigrant n’a improvisé son voyage, ni n’est parti sur un “coup de tête”. Il s’agit bien de projets d’émigration, préparés souvent pendant des mois. Ou les jeunes (et leurs proches) se sont endettés ou ils ont voyagé, se rapprochant petit à petit de la France, en travaillant ici et là plusieurs mois, dans le but de payer un passeur et franchir les frontières. Dans un cas comme dans l’autre, la préparation et la mise en œuvre du projet migratoire entraînent une rupture scolaire, si tant est que le jeune ait été scolarisé dans son pays d’origine. À son arrivée dans le pays d’accueil, le temps que l’adolescent soit placé au sein de structures adaptées, il est, une nouvelle fois, coupé de toute routine scolaire. Plusieurs jours, semaines ou mois d’errance, de “squat”, voire d’exploitations peuvent le séparer de tout semblant de vie normale. Si Yash, par exemple, a eu la “chance” d’être laissé par son passeur à la porte d’une association d’aide aux réfugiés, celui d’un autre de ses camarades l’a fait travailler pendant des mois à son profit. D’autres enfants expliquent avoir passé deux à quinze jours à dormir dans les parcs, dans le métro ou encore chez des concitoyens rencontrés au hasard.

  • 2 Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda).
  • 3 Circulaire du 2 mai 2005 NOR : INTD0500053c.
  • 4 La plupart des mineurs isolés de notre cohorte ont demandé l’obtention d’un titre de séjour, espéra (...)

17Ce n’est qu’une fois que la prise en charge par les services sociaux devient effective qu’une véritable dynamique d’intégration se met en place. Celle-ci s’inscrit nécessairement dans les cadres fixés par la loi, et notamment par les lois sur l’immigration et le séjour des étrangers. À cet égard, il convient de savoir que lesMIE bénéficient d’une protection sociale de l’État en tant que mineurs en situation de carence parentale, mais que cette protection ne leur est plus acquise de droit, dès lors qu’ils deviennent majeurs. Aussi, si les mineurs isolés sont en théorie accueillis et protégés quel que soit leur statut au regard des lois de l’immigration –qu’ils soient entrés ou non avec visa, qu’ils aient ou non un titre de séjour– cette tolérance cesse à leur dix-huitième anniversaire. Ainsi, les jeunes immigrants désirant demeurer légalement en France doivent obtenir une régularisation de leur situation. Les textes relatifs à l’immigration et au séjour des étrangers2 ainsi que la « circulaire Villepin3 », qui en précise l’application, sont donc fondamentaux dans le processus d’intégration des mineurs isolés : ils déterminent les critères qu’ils devront remplir pour pouvoir obtenir le droit de s’installer durablement en France4. Or, ces textes accordent, implicitement ou explicitement, une large importance à l’apprentissage de la langue, à la dynamique de scolarisation/formation et à l’insertion socioprofessionnelle.

18Les instructions du ministère consistent en effet à recommander aux préfets une certaine souplesse dans l’examen des demandes de cartes de séjour, en ce qui concerne les MIE pris en charge par l’ASE avant l’âge de 16 ans, si tant est qu’ils soient engagés dans une dynamique de scolarisation ou de formation professionnelle.

19Quant aux jeunes pris en charge après l’âge de 16 ans, ils « ne remplissent pas, en principe, les conditions prévues par les textes pour bénéficier d’une admission au séjour à l’âge de dix-huit ans ». Néanmoins, la circulaire recommande d’admettre au séjour, à compter de leur majorité et au regard de leur parcours d’insertion, les jeunes dont les perspectives de retour dans le pays d’origine sont très faibles. Deux des critères d’examen reposent sur la qualité de leur parcours scolaire/de formation. Seront en effet examinés, d’après la circulaire :

  • la réalité, le sérieux et la permanence de la formation ou des études réalisées en France, qui peuvent se poursuivre après la majorité ou déboucher sur un emploi ;

  • une attestation motivée et circonstanciée produite par la structure d’accueil justifiant le degré d’insertion du jeune majeur dans la société française (rapport de l’éducateur référent évoquant son comportement, ses projets scolaires ou professionnels, relevés des notes, connaissance suffisante de la langue française, etc.).

20Ces textes accordent ainsi une large importance à l’intégration linguistique, scolaire et socioprofessionnelle dans l’évaluation du dossier des MIE. Une marge d’interprétation existe néanmoins : qu’est-ce qu’une connaissance suffisante de la langue française ? À partir de quand le relevé de notes est-il assez bon et quels sont les critères qui attestent du sérieux ou du manque de sérieux de la dynamique scolaire ou de la dynamique de formation ? Que se passe-t-il si le jeune échoue aux examens, en dépit d’un bon rapport de ses professeurs et éducateurs spécialisés ? Que se passe-t-il si le jeune ne conclut pas de contrat de travail à la suite de son contrat d’apprentissage ?

  • 5 Projet de loi déposé le 31 mars 2001 par E. Besson, alors ministre de l’immigration, de l’intégrati (...)

21Le récent projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité5, par l’article L.313-15, n’apporte que peu de clarifications puisqu’il prévoit d’accorder, à titre exceptionnel, une carte de séjour temporaire aux jeunes pris en charge entre 16 et 18 ans justifiant « suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation », avec avis de la structure d’accueil sur « l’insertion de cet étranger dans la société française  ».

22On observe que le législateur discrimine les jeunes pris en charge après 16ans, soit une majorité de mineurs isolés, et ce sans réel fondement juridique, d’après J.-P. Rosensczveig6. Qui plus est, il laisse en marge du processus d’intégration les jeunes qui auraient gardé contact avec leur famille, mais aussi « les cancres », d’après les mots et l’analyse du président du tribunal pour enfants de Bobigny : ceux qui ne parviennent pas à s’inscrire dans le système scolaire ou dans un système de formation professionnelle. Or, bon nombre d’entre eux arrivent en France avec un faible niveau de scolarisation antérieure, vivent une expérience de rupture lourde sur le plan psychologique et certains d’entre eux portent le poids d’un passé traumatique.

23Qui plus est, l’impératif de régularisation apparaît relativement tôt dans le parcours migratoire des mineurs isolés. Notre cohorte ayant plus de 16 ans et demi de moyenne d’âge, les mineurs isolés n’ont en théorie que 18 mois pour convaincre de leur bonne capacité d’intégration. En pratique, les recours leur permettent de gagner du temps mais, comme l’explique Mohit, l’inquiétude quant à leur avenir et la précarité dans laquelle ils se trouvent ne facilitent nullement les choses : « Ça a duré deux ans. […] J’ai obtenu mon CAP. […] Mais j’avais pas mes papiers, j’arrivais pas à dormir. Je me suis dit bientôt je suis majeur, après l’ASE continue pas, j’ai pas d’aide beaucoup… j’ai pas dormi bien ! ».

24Si « l’avenir scolaire présuppose toujours d’accepter, même a minima, de remettre à plus tard, dans une sorte d’épargne cognitive les profits symboliques, économiques, réels ou supposés, d’un investissement scolaire immédiat » (Millet& Thin, 2005  : 32), les mineurs isolés font de fait un réel pari en misant sur les “retours sur investissements” qu’ils pourront obtenir par le biais de leurs études, alors que la menace d’une expulsion n’est jamais loin. La précarité de la vie qu’ils mènent, sur le plan social et administratif, peut à tout moment venir briser la dynamique scolaire établie. Cela est arrivé à Kossi. Installé en France depuis plus de trois ans, il a été expulsé à tort au Mali, suite à un simple contrôle d’identité. Ce jeune a alors dû refaire tout un parcours pour revenir en France, depuis les économies pour payer un passeur, le voyage, la signature d’un nouveau contrat jeune majeur, jusqu’à la réinscription scolaire, la recherche d’un nouveau maître d’apprentissage, avec à la clé une année scolaire perdue ; coup particulièrement dur pour ce jeune qui s’était beaucoup investi dans son parcours d’intégration en France. Arrivé en France analphabète, il suivait en effet avec succès un CAP en boulangerie lorsque son expulsion survint inopinément.

25Trajectoire hachée, présent instable, avenir incertain : la dynamique et la temporalité avec lesquelles composent les MIE ne semblent donc guère favorables aux investissements scolaires.

26Or à cela s’ajoutent des conditions matérielles et sociales précaires. Certes, les jeunes bénéficient d’un suivi socio-éducatif important, mais les conditions de vie des mineurs isolés demeurent difficiles. Non seulement, comme le souligne Cissé, ces adolescents doivent apprendre à tout gérer par eux-mêmes (ménage, repas, etc.), mais ils doivent composer avec des conditions d’existence imposées par les hôtels sociaux, les obligeant par exemple à sortir chaque soir pour dîner à l’extérieur, mais à rentrer avant l’heure du couvre-feu. Aussi l’accès à la cantine, à Internet, à des salles de travail est-il décrit par certains jeunes à la fois comme un élément facilitateur dans la scolarité mais aussi comme un luxe auquel ils n’ont pas toujours accès.

27C’est donc dans ces conditions et dans ce cadre que se définissent les dynamiques scolaires et de formation professionnelle de ces mineurs isolés. Mais leurs projets, nous allons le voir, se forment à la croisée de plusieurs logiques : la leur, celle des parents parfois, celles des éducateurs et de l’équipe du centre d’accueil, celle enfin de leurs enseignants et du système éducatif dans son ensemble.

Un projet d’intégration scolaire négocié

28À leur arrivée, la plupart de ces jeunes ont l’espoir de trouver rapidement un moyen de gagner de l’argent afin, notamment, de rembourser la dette éventuellement contractée ou d’aider la famille restée au pays. Comme le reconnaît Cissé, les mineurs isolés arrivant en France sont surpris de se rendre compte qu’ils ne peuvent, à quinze ans, sans formation, travailler comme ils le faisaient dans leur pays d’origine : « Pour moi, j’étais capable de travailler comme ça, n’importe quoi. Pour moi, j’avais pas pensé de choses de technique, savoir des trucs, moi, j’avais pas pensé tout ça ! Moi, j’ai pensé seulement, tu me donnes un travail, je le fais, c’est tout ! ». « Quand je suis parti, je voulais travailler, c’est tout ! », confirme Ciprian.

29Le désir d’aller à l’école ou de suivre une formation, tant pour apprendre un métier que pour se conformer à un certain “moule intégratif”, n’apparaît que plusieurs mois après l’installation en France, lorsque, avec les éducateurs spécialisés, un travail de conscientisation a pu être mené à ce sujet, à partir du cadre législatif en vigueur.

30En effet, si le cadre juridique conserve un certain flou quant à la régularisation au cas par cas des MIE, ce qui est en revanche certain, c’est qu’une bonne intégration scolaire est un facteur facilitant. Même si cette notion est également sujette à interprétation, c’est sur cet aspect et sur la nécessité de se tenir à l’écart de la délinquance et des comportements à risque que les éducateurs peuvent le plus facilement fonder leur travail éducatif. Une fois le premier accueil terminé, se produit donc une phase de construction du projet d’intégration et donc d’insertion scolaire et/ou socioprofessionnelle.

31Pour les mineurs isolés, qui doivent rapidement pouvoir être autonomes sur le plan financier et qui cherchent à s’insérer rapidement dans le monde du travail, les formations courtes, en alternance, sont celles qui correspondent le plus à leurs besoins. Ce sont celles qui correspondent le plus, également, à leurs compétences scolaires. Ils peuvent y valoriser l’expérience qu’ils ont parfois acquise dans leur pays d’origine, où ils ont travaillé sans qualification.

32Mais, même quand ils se rendent compte qu’il leur faut désormais compter avec un projet de scolarisation et/ou de formation, il n’est pas toujours simple, pour ces jeunes migrants, de remettre à plus tard le projet de gagner de l’argent. Comme le soulignent D.Thin et M.Millet (2005 : 38), la réalité scolaire est « le produit de la “scholè”, c’est-à-dire par définition, gratuité, “faire semblant”, finalité sans fin, détaché des enjeux réels ». Or, pour ces jeunes, il peut se révéler difficile de prendre le chemin de la formation plutôt que celui de l’argent facile. Jacob évoque pudiquement les conflits qui l’ont opposé à son éducatrice, qui lui reprochait de se consacrer au “business”. Thoma évoque la difficulté que cela a été pour lui de choisir la voie de l’école alors que le pillage des horodateurs et autres activités délictueuses lui avaient permis d’économiser plus de 12 000 euros en deux ans. D’autres MIE, dont Yash, font le choix de travailler au noir les soirées ou les week-ends, afin de concilier formation professionnelle et rentrée d’argent immédiate.

33Dès lors, le fait de pouvoir être formés en alternance et payés comme apprentis facilite leur décision d’intégrer une logique de formation. Mais il n’en reste pas moins que, pour ceux qui ont le plus de difficulté à suivre les enseignements dispensés et pour ceux qui se sentent coincés par leur dette, cette option reste le plus souvent un compromis qu’ils font avec leur éducateur et, par delà, avec le cadre législatif français. Le cas de Yash en atteste. Celui-ci explique avoir abandonné sa formation, pourtant prometteuse, dès réception de sa carte de séjour. Yash nous confiera sa honte à l’idée d’avoir trahi les espoirs de son éducatrice et de son maître d’apprentissage : il n’osera pas leur expliquer son besoin de travailler : pour rembourser sa dette, son salaire d’apprenti ne suffisait pas. Dans ce cas précis, la formation apparaît comme une parenthèse dans le projet migratoire du jeune, un impératif imprévu, avec lequel il a fallu composer un temps pour s’assurer un statut.

  • 7 Certains jeunes parleront de leurs parents avec les éducateurs mais une certaine méfiance reste par (...)
  • 8 Les jeunes qui ont été mandatés par leur famille pour partir à l’étranger sont le plus souvent part (...)

34À travers l’exemple de Yash apparaît aussi en filigrane un ensemble de logiques qui peuvent converger mais aussi diverger, celles-ci n’étant pas toujours toutes et complètement exprimées. Il y a celle du mineur, mais parfois aussi, en sourdine, celle des parents qui, s’ils sont physiquement absents, comme ils le sont parfois des discours que les jeunes tiennent à leur éducateur, n’en sont pas toujours moins là7. La présence de parents est parfois révélée par les adolescents lorsque le chemin vers lequel les dirigent les éducateurs, qui tendent à faire figure de substitut parental, entre en contradiction avec celui esquissé –à distance– par les parents. Bien que l’on puisse penser que ceux-ci pourraient idéaliser le système d’éducation français et pousser leurs enfants vers les études, l’expérience des éducateurs montre plutôt que les parents, s’ils interviennent, plaident plutôt en faveur d’une formation professionnelle rémunérée ou d’une intégration immédiate sur le marché du travail, légalement ou non8.

35Ce n’est que rarement, et le plus souvent en début de parcours, que l’équipe éducative doit parfois amener ces jeunes primo-arrivants à renoncer à leurs ambitions de scolarité longue, d’orientation professionnelle prestigieuse. On expliquera ainsi aux jeunes filles que, pour atteindre leur rêve d’être infirmière, il leur faudra vraisemblablement, vu leur niveau et la réalité socio-juridique dans laquelle elles vivent, commencer par une formation courte d’aide-soignante, qui donnera lieu, peut-être, plus tard, à une reprise des études.

36Ainsi, si les équipes éducatives du centre d’accueil jouent un rôle dans la transmission d’un certain capital culturel, scolaire et informationnel (Lahire  : 1995), celui-ci entre parfois en contradiction avec les desseins non toujours exprimés des mineurs isolés.

37Le parcours d’intégration est donc objet de négociations plus ou moins explicites. Il est également tissé en lien avec les logiques de l’Éducation nationale, les possibilités qu’elle offre mais aussi ses limites.

Le système scolaire dans la trajectoire des MIE

38Que les jeunes veuillent ou non être scolarisés ou aller en formation ne signifie pas pour autant qu’ils puissent y accéder. Le suivi de cohorte indique en effet une certaine forme d’exclusion scolaire, le terme “exclusion” renvoyant ici à « la part d’échec » de l’école (Donzelot, 1996 : 89), aux limites de la politique scolaire mise en place par l’État, qui s’appliquent non seulement aux mineurs isolés mais aussi, de manière plus générale, aux immigrants de plus de 16 ans.

39Commençons par souligner que seuls, quatre sur les quarante jeunes de la cohorte n’ont jamais été scolarisés en France, suite à des problèmes de mobilisation autour des apprentissages. Deux d’entre eux, néanmoins, ont été pris en charge avant l’âge de 16 ans. Il semble, dans ces cas précis, que l’État n’ait pas été en mesure d’offrir des dispositifs de protection et de scolarisation adaptés à ces adolescents fugueurs, au profil délinquant, et que les éducateurs ne se soient pas saisis de la possibilité de faire prononcer une admission par les autorités compétentes. La faible proportion de jeunes déscolarisés que nous observons semble néanmoins signer une certaine souplesse et adaptabilité du système scolaire, alors que, les jeunes ayant généralement plus de 16 ans, l’État n’est plus tenu de les scolariser.

  • 9 CIO et CASNAV sont des institutions de l’Éducation nationale chargées, entre autres missions, de l’ (...)

40Pourtant, il faut aussi souligner la longueur des délais avant que les jeunes ne soient acceptés dans une structure de l’Éducation nationale, quelle qu’elle soit : lycée général ou professionnel, centre de formation professionnelle par alternance, formation proposée par la mission générale d’insertion, cycle d’insertion pré professionnel en alternance (CIPPA), etc. En moyenne, les jeunes de l’échantillon ont attendu plus de dix mois, soit plus d’une année scolaire, avant de rentrer à l’école, alors que les éducateurs les présentent généralement au Centre d’information et d’orientation (CIO) ou au Centre académique pour la scolarisation des élèves nouvellement arrivés et des enfants du voyage (CASNAV)9 dès leur arrivée. Les cours qu’ils ont suivis entre-temps sont ceux proposés à l’interne par le centre d’accueil, des cours ne positionnant nullement les jeunes sur l’échiquier scolaire et ne débouchant sur aucun diplôme. Or, les mineurs isolés ont peu de temps devant eux avant d’atteindre leur majorité et de devoir attester d’une dynamique de formation et de perspectives d’insertion.

  • 10 Citation issue de la table ronde organisée par InfoMIE le 18 juin 2010 (Paris).

41Par ailleurs, l’Éducation nationale ne semble pas toujours en mesure d’offrir des dispositifs adaptés dans de brefs délais et parfois en cours d’année. Comme l’écrivent C.Schiff et M.Lazaridis (2003), et comme le confirmait le chef du Bureau des écoles (ministère de l’Éducation nationale) lors d’une récente table-ronde, les mineurs isolés peuvent être considérés comme prioritaires pour une affectation scolaire adaptée suite à une collaboration entre l’institution scolaire et l’institution d’accueil, mais, de manière globale, les MIE « c’est quelque chose que l’on ne connaît pas10 ». Seuls quatre jeunes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme sur les dix scolarisés ont eu l’occasion d’apprendre la lecture et l’écriture dans une classe d’accueil pour élèves non scolarisés antérieurement. Seule la moitié des alloglottes ont eu l’opportunité d’apprendre le français dans une classe d’accueil pour non francophones, les autres ayant dû se satisfaire d’une scolarisation en immersion. Dans ce cas, l’écart entre le cocon offert par les cours de langue des centres d’accueil et les cours réguliers, ressenti comme étant plus grand encore que celui entre une classe d’accueil (CLA) et le système régulier, s’avère souvent brutal, comme en témoigne Cissé : « [En formation], ça n’a rien à voir parce que [les professeurs] n’ont pas assez de temps pour expliquer à tout le monde un par un ! Tu vas voir beaucoup de différences ! […] [Au centre d’accueil], on écrit sur le tableau… et puis, il y a des mots qu’ils parlent [à l’école], tu sais même pas comment ça s’écrit ! Comment tu veux faire ! Moi, d’habitude, je vois ça écrit au tableau, je copie, c’est tout ! Mais [à l’école], la plupart [du temps], il dicte ! En même temps, il parle, il nous fait les exercices, mais on doit écrire. Moi, déjà, je me suis dit “comment je vais écrire, que je fais des fautes en dictée, que je suis pas fort en dictée, qu’est-ce que je vais écrire !”. Au début, quand j’écris, à la fin, j’arrive même pas à lire moi-même ! Tellement qu’il court ! Moi, d’habitude, je regarde au tableau, je copie, je regarde mot par mot ! Au début, le prof, il parle et je savais même pas qu’il parle [pour] nous ! ». En classe d’accueil (CLA), en revanche, les conditions d’apprentissage sont davantage similaires à celles du centre.

42Au vu de ces éléments, il apparaît clairement que les cours proposés à l’interne par le centre d’accueil, forme d’éducation palliative en l’absence d’une scolarisation immédiate et adaptée, jouent un rôle déterminant en ce qu’ils préparent les MIE à intégrer le système régulier, principale option qui se présente ensuite à eux. Mais l’encadrement qui y est proposé permet également d’optimiser les possibilités offertes par l’Éducation nationale, en mettant en place diverses collaborations institutionnelles ou de terrain, d’autant plus importantes que ces jeunes primo-arrivants entrent en France à un âge où la question de l’orientation se pose de manière cruciale, où se mettent en place des processus de sélection, et que les MIE sont dans l’incapacité de produire un quelconque dossier scolaire.

43En ce qui concerne l’orientation des mineurs isolés, on constate que leurs cursus correspondent le plus souvent aux souhaits qu’ils ont exprimés (métiers de la restauration, du bâtiment, des services à la personne). Néanmoins, on constate que, parmi les jeunes scolarisés, un sur six a changé d’orientation, parfois en cours d’année. Leur affectation en première instance ne correspondait pas à leur souhait, mais ils ont accepté ce placement afin de se conformer aux attentes d’intégration scolaire rapide qui pèsent sur eux. Ces réorientations imposent de nouvelles ruptures à des individus aux parcours déjà chaotiques.

44Ainsi, si les écoles, CASNAV, CIO et autres dispositifs viennent appuyer le processus d’intégration des mineurs isolés, ceux-ci sont néanmoins confrontés à des limites qui, si elles pèsent sur tout jeune immigrant de plus de 16 ans, sont particulièrement problématiques dans ce cas spécifique, dans la mesure où l’avenir de ces jeunes gens dépend d’une réussite, exigeante et rapide, dont on ne leur donne pas entièrement les moyens. On soulignera en outre que, si les jeunes majeurs de cette cohorte ont tous obtenu l’autorisation de travail leur permettant d’entrer en formation, en dépit de l’irrégularité de leur séjour, ce n’est pas le cas de tous les MIE (et jeunes majeurs) qui, parfois, rencontrent dans leur parcours de formation des blocages liés à leur statut migratoire.

Résultats scolaires et intégration

45Pour les mineurs isolés, obtenir un diplôme conçu pour leurs camarades français alors qu’ils sont arrivés quelques années auparavant sans parfois connaître un mot de français, sans savoir ni lire, ni écrire, ni compter relève à la fois d’une course d’obstacle et d’une course contre la montre. Rappelons également la précarité sociale de leur situation ainsi que la fragilité psychologique de nombre d’entre eux. Réussir sa formation et son insertion socioprofessionnelle demande dès lors de s’appuyer sur les ressources en place, mais aussi une forte détermination. Certains la possède, comme Cissé, qui explique avoir fait le choix de s’isoler à sa table, une fois arrivé en CFA, pour ne pas être tenté de copier sur ses camarades et réussir par lui-même, à l’aide également des cours de soutien qu’il pouvait trouver ça et là. Tous, néanmoins, ne pourront trouver cette force en eux. L’absentéisme est, aux dires des éducateurs, relativement fréquent chez ces jeunes. Il figure régulièrement sur les bulletins de notes, en guise d’avertissement. Ces absences correspondent à des problèmes personnels à un moment particulier (dépression, addictions, etc.), par une baisse de la motivation par rapport à l’orientation choisie, par rapport à l’enlisement des procédures de régularisation, mais les absences sont le plus souvent corrélées aux difficultés scolaires rencontrées en classe.

46En ce qui concerne les chiffres, l’on peut dire que, sur les trente-six adolescents ayant été scolarisés, onze ont redoublé une année ou ont subi une réorientation entraînant un redoublement. Ce redoublement peut témoigner d’une mobilisation de l’équipe enseignante pour que le jeune puisse continuer à bénéficier d’une classe d’accueil (CLA) par exemple, ou de la mobilisation du jeune autour de la formation de son choix, mais, de manière concrète, elle entraîne rupture et retard alors que les jeunes n’ont que peu de temps devant eux pour obtenir leur diplôme.

47Sur les vingt-neuf jeunes ayant passé un examen scolaire, moins de la moitié ont obtenu leur diplôme, soit six BEP et huit CAP. Aucun d’entre eux n’a passé d’examen de niveau supérieur, et c’est parfois le seul regret exprimé en entretien. Karim, par exemple, regrette fortement de n’avoir pu obtenir de qualifications plus élevées : « À l’école, j’ai pas de problème. Je me disais “pourquoi pas ?”… parce que là, j’ai arrêté en BEP, en mention complémentaire… ben je me dis… parce que mon contrat s’arrête avec l’ASE, ben j’ai commencé à travailler, mais je me dis “pourquoi j’ai pas passé un bac, un BTS. J’aurais aimé être aidé plus longtemps pour aller jusqu’à un bac, un BTS ?  ». Malgré l’encadrement dont ils ont bénéficié, ces jeunes ne pourront aller jusqu’au bout de leur ambition, le soutien qui leur est accordé cessant nécessairement trop tôt pour entamer des études longues.

48Néanmoins, parler d’échec des parcours scolaires, au vu de ces quelques chiffres, reviendrait à adopter un point de vue normatif sur la réussite scolaire et ne prendrait en compte ni le contexte particulier ni les dynamiques d’ensemble. Thoma, qui dit ouvertement avoir accepté d’aller à l’« école » juste pour « attendre les papiers » et n’a jamais pu suivre autre chose que les cours du centre d’accueil, se dit fier d’être ainsi devenu un homme « respectable », lui qui craignait que la rue ne le ramène “à la case prison” ou en Roumanie. Jacob, qui, lui non plus, n’a jamais réussi à suivre une quelconque formation professionnalisante, estime également que le cadre scolaire offert par le centre d’accueil l’a mis « dans le bon chemin ». Et si ces deux jeunes n’ont jamais véritablement “accroché” avec les apprentissages, d’autres de leurs camarades également arrivés en situation d’analphabétisme ou d’illettrisme souligneront l’importance d’acquérir des compétences de base telles que la lecture ou l’écriture, pour leur épanouissement personnel. Enfin, si la plupart des jeunes affirment que leurs liens sociaux sont avant tout avec la « famille » que représente les personnes du centre d’accueil, la socialisation et la normalisation du quotidien que permet la scolarisation/formation concourent nécessairement à l’intégration des MIE.

49En termes de régularisation, notons enfin que, sur les 35 pour lesquels nous avons des données à ce sujet, 24 jeunes majeurs ont obtenu un titre de séjour temporaire ; Ciprian a obtenu la nationalité vu son jeune âge à l’arrivée et Yash a fini par obtenir l’asile. Un jeune a été expulsé, un autre non régularisé vit maintenant de manière clandestine. Dans tous les cas, les lettres-types envoyées par la préfecture pour signifier l’octroi ou le refus d’un titre de séjour ne permettent pas d’établir quels sont les critères qui ont été retenus pour évaluer les parcours d’intégration, ni d’identifier précisément le rôle de la scolarisation/formation dans le processus de régularisation. L’impossibilité d’établir une relation de cause à effet directe entre dynamique/réussite scolaire et obtention des papiers suscite parfois de l’incompréhension chez les jeunes, notamment chez ceux qui, bien qu’ils intègrent un parcours de formation, essuient des refus. C’est ce dont témoigne Mohit : « Je sais pas ce qui se passe, mes amis, ils ont tous les papiers, moi, j’ai pas ! J’ai fait quelque chose bien mais chaque fois, c’est malchance, chaque fois ! […] Mais bon, ça, c’est chacun, c’est chance… Ils ont reçu avant ! […] Y a rien [comme explication] ! »

50Trois autres jeunes de l’échantillon ont rompu leur contrat d’accompagnement avant leurs 18 ans et ont mis fin à leur parcours d’intégration, tel que négocié avec l’équipe. Ceux-là ont continué leur chemin vers un autre pays ou se sont tournés vers la communauté de leur pays d’accueil. Il faut par ailleurs noter que c’est vers cette dernière que se tournent essentiellement ces jeunes immigrés, à l’heure de trouver un emploi. Sur les 26 jeunes pour lesquels nous avons des données pertinentes, 18 ont un emploi mais leurs emplois, comme le déplorent Yash et Mohit, demeurent le plus souvent précaires et ne sont pas nécessairement déclarés. La moitié des 12 jeunes femmes de notre échantillon, jeunes mères, vivent de l’aide sociale. Deux jeunes sont en voie de marginalisation.

Quelques mots de conclusion sur l’avenir

51Dans son rapport, I. Debré émet quelques recommandations pour améliorer le sort des MIE. Il s’agit avant tout d’améliorer la communication interministérielle et territoriale pour pouvoir apporter des réponses personnalisées et cohérentes à ces jeunes gens, mais, concernant l’intégration des MIE, la seule recommandation concrète est d’élargir aux mineurs arrivés après 16 ans l’octroi de titre de séjour… Mais, là encore, seulement « dès lors qu’une formation réelle et sérieuse est engagée et qu’elle s’inscrit dans un projet de vie ». Le projet de loi Besson va dans le même sens. Aucune réflexion ne semble avoir été élaborée sur la manière d’évaluer, de manière adéquate, des trajectoires qui ne sauraient se résumer en quelques bulletins et rapports scolaires. La réussite à l’école et en formation semble demeurer le moyen de discriminer les “bons” et les “mauvais” mineurs isolés, concourant à instrumentaliser en cela le système éducatif à des fins à la fois politiques, de contrôle de l’immigration, et stratégiques, de régularisation, entérinant également une vision monopolistique et simpliste de l’école et de la formation comme principal moyen d’intégration, sans que soit posée la question des moyens accordés à l’éducation des immigrants de plus de 16 ans.

52À travers le filtre de l’immigration, parce que ces jeunes apportent leur simple envie de travailler ainsi que leur seule expérience de formation informelle et par compagnonnage, et parce que leurs compétences, notamment plurilingues, ne sont guère sanctionnées par des diplômes, la question que posent les mineurs isolés est aussi celle de la reconnaissance accordée, dans notre société, aux travailleurs non certifiés, qualification et certification n’allant pas nécessairement de pair.

Post-scriptum de janvier 2011

53Au vu du durcissement politique actuel à l’égard des Roms, il convient de signaler qu’on ne saurait confondre la situation des enfants Roms avec celles des mineurs étrangers isolés, qui est très différente sur le plan linguistique, scolaire et social. Les Roms de Roumanie, que vise la très polémique circulaire du 5 août 2010, sont des Roumains présents en France, souvent en famille, au nom de la libre circulation et du droit au séjour en application dans l’espace européen. Les mineurs isolés sont quant à eux en situation de rupture familiale : bien que souvent entrés illégalement en France, ils sont accueillis au titre de la protection de l’enfance en danger et placés au sein d’organismes sociaux. La plupart d’entre eux sont des immigrants étrangers et non des ressortissants européens. Aucun des jeunes Roumains de notre cohorte ne se revendiquait comme Rom. Néanmoins, les orientations récentes du gouvernement concernant les Roms ne nous laissent guère optimiste sur le fait que les droits de l’enfant priment actuellement sur la logique de contrôle migratoire, et laissent à croire que l’accueil des mineurs isolés ne devrait pas connaître de rapides et significatives avancées. Enfin, malgré l’absence de statistiques fiables, les acteurs de terrain rendent compte de la présence, nouvelle, de plus en plus d’enfants Roms mineurs et non accompagnés.

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Bibliographie

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Notes

1 Les termes en italique sont issus de documents internes à l’association.

2 Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda).

3 Circulaire du 2 mai 2005 NOR : INTD0500053c.

4 La plupart des mineurs isolés de notre cohorte ont demandé l’obtention d’un titre de séjour, espérant obtenir un titre mention « vie privée–vie familiale », « salarié » ou « étudiant ». Rares sont ceux à avoir présenté une demande d’asile.

5 Projet de loi déposé le 31 mars 2001 par E. Besson, alors ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.

6 Site du président du tribunal pour enfant de Bobigny : www.rosenczveig.com/dossiers/.../Sentimentalbourreau.doc–France

7 Certains jeunes parleront de leurs parents avec les éducateurs mais une certaine méfiance reste parfois de mise, alors que la circulaire de Villepin écarte du droit au séjour les jeunes ayant maintenu des contacts avec leur famille.

8 Les jeunes qui ont été mandatés par leur famille pour partir à l’étranger sont le plus souvent partis avec l’espoir de pouvoir aider la famille à subvenir à ses besoins.

9 CIO et CASNAV sont des institutions de l’Éducation nationale chargées, entre autres missions, de l’orientation des élèves nouvellement arrivés en France.

10 Citation issue de la table ronde organisée par InfoMIE le 18 juin 2010 (Paris).

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Table des illustrations

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Pour citer cet article

Référence papier

Eva Lemaire, « La scolarisation et la formation professionnelle comme voies d’intégration des grands adolescents immigrants »Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 10 | 2011, 45-61.

Référence électronique

Eva Lemaire, « La scolarisation et la formation professionnelle comme voies d’intégration des grands adolescents immigrants »Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs [En ligne], 10 | 2011, mis en ligne le 01 avril 2013, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/cres/202 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cres.202

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Auteur

Eva Lemaire

Sciences de l’éducation, Université de l’Alberta, Campus Saint-Jean, Canada. eva.lemaire@ualberta.ca

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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