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Des cours de sciences en anglais à l’EMILE : état des lieux, réflexion et recommandations

Cas de l’Université Paul Sabatier
From science courses in English to CLIL: current situation, reflections and recommendations
Case of Université Paul Sabatier
Claire Chaplier
p. 57-79

Résumés

Actuellement, les cursus en anglais dans l’enseignement supérieur en France se multiplient. À l’université Paul Sabatier (UPS), l’on commence à réfléchir à la généralisation de ces formations qui se sont créées sans que les enseignants d’anglais y soient associés. Nous avons examiné l’existant à l’UPS en nous entretenant avec des collègues scientifiques ayant créé des masters dans lesquels les cours sont en anglais afin de connaître leur motivation et d’avoir des représentations de leurs pratiques d’enseignement disciplinaire en anglais. Ainsi, nous pourrons faire des recommandations concrètes : comment aider les collègues scientifiques à aller vers l’EMILE ? Quel peut être le rôle de l’anglais de spécialité ?

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Texte intégral

Introduction

1Actuellement, les cursus en anglais dans l’enseignement supérieur en France se multiplient. L’université Paul Sabatier (UPS) commence à réfléchir à la généralisation de ces formations afin d’obtenir un label international (à déterminer par l’UPS), que seule semble garantir la langue anglaise dans l’esprit des acteurs institutionnels et économiques qui reconnaissent ces diplômes (Truchot 2008). Un groupe de travail comprenant des membres de la commission des Relations Internationales et du Conseil des Études et de la Vie Universitaire (CEVU) s’est donc formé.

2Faire des cours en anglais ne va pas de soi et soulève des interrogations : définition et rôle de la langue, statut des disciplines, approches didactiques et pédagogiques, rôle des enseignants. Dans le système éducatif français, lorsqu’une discipline est enseignée dans une langue autre que le français, langue officielle de scolarisation, cette discipline est appelée discipline non linguistique (DNL). Or, cette appellation pose problème « car elle semble nier le rôle du langage – et donc, des langues – dans la construction des savoirs » (Mailhos 2009 : 13). Il s’agit de ne pas réduire la langue à une lingua franca. Une solution au problème soulevé serait de mettre en place un dispositif d’enseignement intégrant les DNL ; celui fondé sur la pédagogie de l’EMILE (Enseignement d’une matière par l’intégration d’une langue étrangère) comme l’ont préconisé Béliard & Gravé-Rousseau (2009) en est un exemple. Ces auteurs précisent de plus qu’un tel dispositif apporte une plus-value éducative par rapport à l’enseignement traditionnel (idem : 66). La mise en place de cours disciplinaires en anglais intégrant la pédagogie de l’EMILE requiert une réflexion sur le processus d’enseignement/apprentissage, notamment sur les objectifs à atteindre et sur le rôle des enseignants de langue et de spécialité, mais elle implique également de comprendre les enjeux sociétaux (Aden & Peyrot 2009). Il est donc important d’éviter « l’ignorance didactico-scientifique » et la « nécessité politico-institutionnelle » (Gajo 2009 : 18).

3À l’UPS, sept masters sont dispensés en anglais dont un, partiellement. Notre objectif a été de travailler sur cet existant afin de voir, dans un premier temps, par des entretiens avec les responsables, comment ces masters ont été élaborés, comment ils fonctionnent, s’ils constituent une réussite et sur quels plans. Dans cette étude préliminaire, nous n’avons pas sondé les besoins des apprenants ni les attentes des enseignants. Comme le processus de mastérisation en anglais est en cours, nous avons choisi de voir comment ce projet peut être mené en incluant les enseignants-chercheurs en didactique plutôt que de le faire seulement entre enseignants-chercheurs scientifiques. Nous avons tenté de saisir les perceptions des responsables pour voir comment les enseignants d’anglais pouvaient intégrer ce nouveau type de formation. Ce champ réduit d’investigations offre des renseignements sur d’éventuelles difficultés linguistiques, interculturelles et pédagogiques ainsi que des données sur les représentations et les croyances des responsables scientifiques sur la langue anglaise et son enseignement dans ce contexte. Car les « [i]dées, [les] pensées et [les] émotions doivent être traitées avec les autres aspects de la culture […] » (Malinowski 1968 : 26). Cette recherche n’a pas été aisée à mener en raison du caractère conservateur des représentations, source de résistance passive ou active à l’innovation proposée.

4Après une première analyse des représentations, croyances, savoirs et pratiques des responsables scientifiques des masters en anglais concernant l’anglais scientifique et son enseignement ainsi que de leurs motivations, nous pourrons faire des recommandations concrètes : comment aider les collègues scientifiques à aller vers l’EMILE ? Quel pourrait être le rôle de l’anglais de spécialité ?

1. Problématique

5L’objectif de nos entretiens a été de connaître la motivation des responsables scientifiques à concevoir des masters en anglais et d’avoir une première idée sur leurs pratiques d’enseignement disciplinaire en anglais. Les questions posées au cours des entretiens ont porté sur les motivations et la formation des enseignants, les étudiants, la sélection, l’organisation du master, la langue – compétence linguistique, compétence culturelle comprenant la culture disciplinaire, la culture sociétale et la culture didactique (Taillefer 2004) – et sur les bénéfices et faiblesses de ces formations (voir le questionnaire et le bilan des réponses en Annexes 1 et 2). Nous avons retenu dans notre analyse les « fragments de discours portant signification » (Blanchet & Gotman 2007 : 93) rapportés par les responsables selon différentes thématiques « verticales » (idem : 96). Ces thématiques, qui incluent le profil des étudiants et des enseignants, le rôle de la langue, la pédagogie, l’évaluation et certains contenus (concernant la langue et son utilisation par les enseignants-chercheurs), étudient et comparent le sens des discours pour mettre à jour les systèmes de représentation véhiculés par ces discours.

2. Cadre théorique

2.1. L’EMILE

6L’EMILE constitue une pratique sans doute complexe mais, si elle est « soutenue par une approche adéquate, [elle] ne débouche pas sur une complication de l’enseignement et de l’apprentissage » (Gajo 2009 : 22).

7On retrouve des dispositifs de l’EMILE dans l’enseignement supérieur de nombreux pays sous différentes formes et contextes. Les cas des formations où l’objectif est à la fois disciplinaire et linguistique (Wolff 2003 : 37 ; Stoller & Grabe 1997) sont « plus rares, et plus positifs » (Taillefer 2004 : 111). Comme le souligne Gajo (2009 : 19), il existe des enjeux linguistiques des disciplines et des enjeux disciplinaires des langues. Plusieurs raisons justifient les bienfaits de l’EMILE, comme l’importance de l’exposition à la langue étrangère (LE) et de son utilisation, la pertinence de sa contextualisation, l’augmentation supposée de la motivation et une réflexion métacognitive sur l’apprentissage (Stoller & Grabe 1997 : 19-20). Cependant, que la LE soit juste un vecteur ou un support communicatif de la discipline est certes appréciable, mais n’est pas suffisant. Les pratiques pourront être efficaces seulement si des « critères de qualité complexes et pertinents » (Taillefer 2013 : 31) sont définis et intégrés. Ce n’est pas toujours le cas car l’EMILE a été introduit depuis peu de temps, notamment en France.

2.2. Représentations, croyances et savoirs

8Nous émettons l’hypothèse que les décisions que prennent les responsables et les enseignants sont en relation avec « un système de savoirs, de croyances et de représentations et qu’il y a une relation directe entre leurs actions et leurs pensées » (Cambra Giné 2003 : 204).

9Comme les attitudes et les états d’esprit sont formés par les croyances qui sont une forme de connaissance, il est intéressant d’interroger les responsables/enseignants de sciences sur leurs croyances et leurs perceptions concernant l’anglais (général et spécialisé) et son enseignement, et puis de les analyser. « L’inclusion des manières de sentir et de concevoir des participants est fondamentale pour une recherche qui puise sa force dans la contextualisation et dans la façon dont les membres d’un groupe se représentent le contexte » (Cambra Giné 2003 : 203). Il s’agit, reprenant Bourdieu (1982 : 136), « d’inclure le réel dans la représentation du réel ».

10Précisons ce que sont les savoirs, les croyances et les représentations. Les savoirs se rapportent aux faits que nous connaissons et qui sont conventionnellement acceptés. Nous nous référerons aux savoirs sur la matière, catégorie qui a été doublée de celle sur le savoir pédagogique de la matière (Cambra Giné 2003 : 209). Les croyances se réfèrent à l’acceptation d’une proposition pour laquelle il n’y a pas de savoir conventionnel, qui n’est pas démontrable et avec laquelle on peut être en désaccord. La notion de représentation constitue « un savoir qui est socioculturellement construit et qui tout à la fois a une fonction dans la construction de la réalité sociale » (idem : 211). On ne peut traiter isolément un élément sans les autres, on a affaire à un système.

11Nous ajoutons les pratiques car il est nécessaire de comprendre les relations entre savoir et pratique et de prendre en compte les savoirs déjà acquis. Selon Beacco (1997 : 124), « il y a un savoir non savant qui circule et qu’il me parait important de ‘récupérer’« . Cette connaissance ordinaire, différente de la connaissance scientifique car elle s’adapte à la pratique, doit être étudiée comme les savoirs savants (Cambra Giné 2003).

3. Contexte

3.1. Masters en anglais à l’UPS

12Six masters de recherche et un master professionnel (le Space Master) enseignés totalement ou partiellement en anglais figurent dans l’offre de formation de l’UPS. On compte quatre Erasmus Mundus (EM) qui s’adressent à des étudiants étrangers (dont l’anglais est la L2 ou la L3) : le Master Theoretical Chemistry and Computational Modelling (MTCCM), le Space Master (SM), le Master Materials for Energy Storage and Conversion (MESC) et le Master Membrane Engineering (MEE). Les autres masters sont dits internationaux avec des cours en anglais : le Master Agrofood Chain (MAF), le double diplôme franco-tchèque International Master on Interactive Systems (IMIS) et un master de recherche partiellement en anglais Astrophysique, Sciences de l’Espace et Planétologie (MASEP).

13Les raisons principales de concevoir un master en anglais aux yeux des responsables sont essentiellement l’ouverture à l’international (voir Annexe 2). Il est à noter que l’excellence est l’un des objectifs des Masters MEE et MESC.

3.2. Profil des étudiants

  • 1 TOEFL-iBT (90); IELTS (6,5) ; « Certificate of Proficiency in English » ou « Certificate in Advance (...)

14Les responsables ont rappelé que, dans le cas des étudiants qui ne sont pas dans le système LMD, il est difficile de juger des équivalences, notamment concernant la maîtrise de l’anglais. En revanche, les responsables se fient au processus de Campus France pour évaluer le niveau linguistique des étudiants étrangers candidats à EM. Ces derniers doivent fournir des preuves officielles de leur maîtrise de l’anglais1.

15Les promotions d’étudiants sont petites (entre 10 et 20) sauf pour le MASEP ; la sélection ne se fait pas sur le niveau d’anglais sauf pour le MAF (score TOEIC 750 ou équivalent nécessaire).

16Le niveau d’anglais des étudiants français LANSAD-sciences, à l’exclusion de médecine, est généralement hétérogène au sein d’un même groupe. De plus, leur motivation pour l’apprentissage d’une langue étrangère à l’université, lequel est nettement moins valorisé que les disciplines scientifiques, est très variable. À l’UPS, les modules d’anglais sont de 48h (Licence) et de 24h (Master) par an, en présentiel, avec des groupes de 24 étudiants maximum.

3.3. Profil des enseignants

  • 2 L’acronyme du master entre parenthèses fait référence aux déclarations du responsable du master en (...)

17Les responsables des masters sont en majorité des enseignants-chercheurs de langue maternelle française de l’UPS. À l’exception du MTCCM où la langue maternelle des enseignants est variable ainsi que dans le MAF et dans le MASEP, on compte très peu d’enseignants anglophones. Ils sont entre 10 et 20 enseignants-chercheurs à faire des cours disciplinaires en anglais. Aucune certification de leur niveau en anglais n’est demandée. Soit ils sont sélectionnés par le responsable sur la base de la spécialité (appel d’offres, MASEP, SM)2, soit ils répondent à une demande du responsable auprès des départements et/ou des laboratoires (MEE, MESC, IMIS). Le responsable du MAF n’a pas parlé de sélection. En revanche, il incombe à chaque université de sélectionner les enseignants (MTCCM). Un responsable EM a souligné que la sélection ne se fait pas sur la maîtrise de l’anglais, mais essentiellement sur la compétence et sur le désir d’implication.

4. Méthodologie

18Nous nous situons dans la perspective de la sociologie compréhensive et le chercheur (qui est aussi enquêteur) se donne pour objectif de reconstruire la pratique d’après ce qu’il comprend, de décrire sa propre façon de voir la façon de voir d’un groupe. Nous avons procédé à une étude qualitative sous forme d’étude de cas (Yin 1984) avec sept entretiens directifs (comprenant une majorité de questions ouvertes) auprès des responsables qui faisaient aussi cours (sauf un responsable) dans des masters enseignés totalement ou partiellement en anglais en 2011-2012 à l’UPS. Nous avons choisi l’entretien, qui est « pertinent lorsque que l’on veut analyser le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques et mettre en évidence les systèmes de valeurs et les repères normatifs à partir desquels ils s’orientent et se déterminent » (Blanchet & Gotman 2007 : 24).

19Les paramètres de la situation de l’entretien pris en compte sont donc : l’environnement matériel et social, le cadre contractuel de la communication et les interventions de l’interviewer.

20Les interviewés comptent sept professeurs des universités qui enseignent des disciplines scientifiques. L’interviewer s’est présentée comme enseignante-chercheure, membre du laboratoire en didactique des langues LANSAD (Langues pour spécialistes d’autres disciplines) de l’UPS. Suivant le déroulement des entretiens, l’enseignante-chercheure s’est aussi présentée en cours de route comme ingénieure en génie atomique ayant travaillé en entreprise (un élément qui a rassuré certains responsables). Signalons d’autres éléments importants qui ont sans doute compliqué les entretiens. En effet, au cours de l’entretien,

l’interviewer n’opère pas un simple prélèvement de discours auprès de l’interviewé car l’interviewer influence l’interviewé. En fait, tout discours produit par entretien est co-construit par les partenaires du dialogue, en fonction des enjeux de la communication et des interactions à l’œuvre dans l’interlocution. (Blanchet & Gotman 2007 : 115)

  • 3 Comme ceux des Masters MEE et MESC.

21Resituons l’UPS afin de prendre cet élément en considération dans la situation de l’entretien. C’est une université de sciences et de médecine qui entretient des relations étroites avec un grand nombre d’universités étrangères. Les enseignants-chercheurs se considèrent donc comme appartenant à une université de haut niveau. Certains3 font partie de réseaux d’excellence, et un responsable est britannique. De plus, quelques items du questionnaire portent sur les pratiques d’enseignement des sciences en anglais, et certains responsables ont ressenti l’entretien comme voulant remettre en cause leurs pratiques. Il a fallu donner de nombreux détails à un responsable qui était peu enclin au début à être interviewé et qui percevait l’interviewer comme un évaluateur de langues. Or, ces entretiens ne constituaient ni un jugement sur la compétence linguistique ou pédagogique des enseignants de sciences, ni une manière implicite de s’imposer dans le développement des cursus, mais visaient à montrer l’intérêt des enseignants-chercheurs de LANSAD.

22Les entretiens ont eu lieu, après une prise de contact par courriel et/ou téléphone, dans le bureau du responsable, sauf pour un responsable EM qui a choisi de venir dans le bureau de l’interviewer au Département de langues.

23Le cadre contractuel était, dès les premiers contacts, constitué par les représentations et les croyances des interlocuteurs (Blanchet & Gotman 2007) ; par exemple, les responsables pensent que lorsqu’on parle l’anglais dans le contexte professionnel, on peut enseigner une spécialité dans cette langue.

5. Résultats des entretiens

24Dans les parties suivantes, nous analyserons les entretiens sur la base des représentations, des croyances et des savoirs des enseignants-chercheurs interviewés ainsi que sur celles de leurs pratiques. Nous mentionnerons également leurs motivations.

5.1. Représentations des responsables

25Les responsables ont différentes représentations concernant l’anglais scientifique.

26Dans les cours disciplinaires en anglais, la langue est considérée comme véhiculaire, deux responsables EM l’ont dit explicitement. L’un des deux responsables a déclaré qu’« à partir du moment où les enseignants-chercheurs font des congrès, ils se débrouillent et donc parlent anglais ». Le responsable du IMIS a reconnu « être capable de communiquer, de se débrouiller ». Le terme « pari » est employé par le responsable du MAF, « le pari est le suivant : venir chercher une compétence technique même si l’anglais n’est pas parfait. C’est la compétence technique enseignée en LE qu’ils comprennent. On leur demande d’être capables de communiquer dans leur domaine ».

27Cette représentation de l’anglais scientifique et de son enseignement transparaît également dans l’organisation des évaluations. En général, les sujets d’examens et les réponses des étudiants sont rédigés en anglais. Certaines épreuves présentent de nombreuses formules, donc l’utilisation de la langue anglaise est restreinte, sauf en agro-économie où il est nécessaire de rédiger des réponses.

28Nous avons voulu voir si les aspects culturels de l’anglais scientifique étaient intégrés et si l’enseignement disciplinaire en anglais s’appuyait sur une méthodologie particulière.

29On constate dans deux masters que les aspects culturels ne sont pas intégrés dans les cours. Cependant, la responsable du MASEP l’a mentionné et les autres responsables ont évoqué l’aspect culturel sous plusieurs formes : soit ils ont mentionné le cours de français qui fait référence à la culture française, soit ils n’ont fait que rappeler que c’est un critère des EM, soit ils n’en sont qu’au niveau de la réflexion ou de la prise de conscience. Un responsable EM a suggéré qu’il faudrait arriver à un bon équilibre entre les enseignements reçus par les étudiants de différentes cultures et s’est demandé comment les intégrer afin de faire un cours satisfaisant. Seul le responsable du IMIS a travaillé sur les aspects de l’environnement industriel dans différents contextes.

30Il n’y a également pas d’approche pédagogique et méthodologique particulière, comme l’a précisé le responsable du SM qui souligne que le cours en anglais est la traduction du cours en français. L’aspect matériel/support a été évoqué notamment par le responsable du MEE (visioconférence). Les supports sont en anglais, sauf pour le MASEP les supports sont en anglais si le cours est en français et vice-versa. L’aspect relationnel étudiants-enseignant vient ensuite. Les enseignants sont « à l’écoute des étudiants » (MASEP) et, en raison de la petite taille de la promotion, enseignants et étudiants discutent beaucoup (« j’allais les voir, c’est la partie agréable quand il y a peu d’étudiants » – IMIS). On remarque la motivation plus grande de l’enseignant face à un petit nombre (mais ce n’est pas propre aux formations en anglais). Dans l’un des masters EM, les TP sont en double encadrement, l’interaction en continu est privilégiée.

5. 2. Croyances des responsables

31Les responsables ont différentes croyances qui se sont révélées au cours des entretiens, concernant leur niveau d’anglais et celui des étudiants, l’enseignement disciplinaire en anglais et la langue anglaise en général.

32Les enseignants-chercheurs scientifiques utilisent l’anglais dans leur quotidien professionnel. Selon les responsables, ils ont tous un bon niveau en anglais car ce sont des scientifiques actifs qui participent à des colloques internationaux et qui publient des articles en anglais dans des revues de haut niveau. En général, ils ont appris en pratiquant : un responsable EM a appris par immersion, un autre a passé six ans à écrire des articles en anglais, il a progressé en anglais (« la langue par la pratique ») et il encadre des doctorants étrangers.

33Des croyances sont également véhiculées sur la langue anglaise. Par exemple, un responsable EM a précisé que ce n’est « pas l’anglais d’Oxford » que les enseignants-chercheurs utilisent dans leurs cours. Il semble que ce type d’anglais soit leur référence. Or, le modèle du locuteur natif n’est plus de mise (Beacco & Byram 2007). On reconnaît maintenant qu’un modèle plus approprié est celui d’une personne capable de parler et/ou d’écrire, à différents niveaux de compétence, un certain nombre de langues (compétence plurilingue).

34Du fait de leur capacité à utiliser l’anglais dans leur contexte, ils pensent qu’ils peuvent dispenser des enseignements disciplinaires en anglais. Certains responsables ont souvent dit : « on est des chercheurs en sciences qui travaillent quotidiennement en anglais donc on peut faire un cours en anglais ».

35Une dernière croyance concerne les étudiants qui intègrent ces cursus en anglais. Certains responsables affirment qu’ils sont bons en anglais et ont donc moins de difficultés à utiliser l’anglais. Certains enseignants-chercheurs attendent de l’aide de ces étudiants pour combler ou masquer leurs difficultés. Un responsable EM a précisé : « on se fie aux étudiants et on les comprend ». Un autre responsable EM a parlé de l’expérience d’enseignement en gestion (qui n’est pas son domaine) qu’il a réalisée en anglais. Les étudiants qui parlaient bien anglais anticipaient et donnaient le mot correct au responsable qui a trouvé cette collaboration utile.

5.3. Savoirs et pratique du savoir

36Les enseignants-chercheurs sont en général spécialistes de leur discipline. Ils ont déjà fait leur cours en français ou le font en parallèle. Ils n’ont pas enseigné à l’étranger en anglais, sauf pour quelques-uns. Ils ont à la fois un savoir très spécialisé sur la matière en français et une pratique du savoir pédagogique en français de cette matière.

5.4. Pratiques des enseignants

37Il est intéressant de mentionner certaines pratiques enseignantes en lien avec les spécialités, qui pourraient servir à la réflexion didactique et à l’élaboration pédagogique des enseignements scientifiques en anglais. Un responsable EM a trouvé des moyens pour contourner la difficulté d’avoir à reformuler en anglais : soit il s’aide de supports, soit les étudiants l’aident à trouver un mot, soit il introduit le mot en français – pratique qu’il justifie en disant « c’est pour qu’ils l’apprennent ». Il a précisé qu’il utilisait du vocabulaire anglais technique dans le laboratoire et parlait franglais. En effet, une difficulté et des défis ont été mentionnés : interaction en anglais en cours (MEE), capacité à enseigner deux heures en anglais et à faire en sorte que les étudiants n’abandonnent pas (MESC), manque de rapidité d’expression et de compréhension (MASEP). Seule la responsable du MASEP a considéré que son niveau d’anglais n’était pas assez bon pour faire un cours en anglais (qu’elle ne fait pas) : « je n’arriverais pas à faire passer ce que je voudrais ». Comme l’a souligné le responsable du MEE pour qui c’était la première promotion, « je dois trouver un moyen pour faire et dire ce que je veux » ; la difficulté semble se situer au niveau de la communication orale des messages (quand les étudiants ont du mal à comprendre des notions ou dans l’utilisation de l’anglais au quotidien).

38Dans le cadre des évaluations qui se font sur la base de l’écrit, dans lequel l’anglais n’est pas évalué (comme dans les enseignements en français), les enseignants comprennent, ou devinent parfois, ce que les étudiants ont voulu dire car c’est « du scientifique sans trop d’écrit » (sauf en agro-économie), selon un responsable EM. La langue n’est pas évaluée, même si elle est approximative et obscurcit le sens du message, selon le responsable du IMIS ; certaines matières nécessitent un effort de rédaction, or tous les étudiants n’en sont pas capables et le responsable précise que « cela ne leur a pas valu une mauvaise note ». Un responsable EM ne s’est pas posé la question car les étudiants sont censés être bons. En revanche, dans un autre master EM, l’évaluation est faite en anglais et en français selon le niveau d’anglais de l’étudiant et, dans le MASEP, la langue dans laquelle est rédigée l’évaluation dépend des professeurs. Pour les étudiants EM, les sujets sont dans les deux langues, ils répondent en anglais et les étudiants français en français.

39En ce qui concerne l’organisation des cours en anglais, les niveaux d’anglais étant très variables, il peut y avoir plusieurs enseignants de différents laboratoires qui interviennent pour chaque cours, afin de fractionner au maximum les enseignements et que chacun n’ait qu’un petit volume à préparer (IMIS).

40La responsable du MASEP a souligné que les cours en anglais familiarisaient les étudiants français avec l’anglais qui est la langue de la recherche. Il est à noter que cette pratique est positive si le niveau de langue est suffisant. Elle a ajouté que « certains étudiants français ‘mauvais’ en anglais sont gênés » et a conclu que « les très mauvais ne feront pas de recherche ».

5.5. Motivations des responsables

41La question de l’entretien « aspects positifs et négatifs des masters » a aussi révélé les motivations profondes des responsables qui se sont investis dans ces masters. Ils ont trouvé ces dispositifs positifs en termes de défi relevé et de carrière :

  • il est réconfortant de parvenir à faire cours en anglais pour des scientifiques ;

  • il est intéressant d’avoir des étudiants étrangers que les enseignants peuvent suivre en thèse (MASEP, IMIS, MEE). De plus, un responsable EM a mentionné que la rencontre avec des étudiants étrangers impliquait une remise en question ;

  • il est valorisant pour leur carrière de participer à des masters EM dont le label est une indication de qualité (MTCCM).

42Le bien-fondé de ces masters passe par la centration sur l’enseignant-chercheur qui est valorisé, et sur l’université. On s’interroge quant à l’intérêt en termes éducatifs pour l’étudiant.

5.6. Discussion des points-clés de l’enquête

43Nous avons noté trois points-clés de l’enquête qui révèlent des aspects concernant la mise en place de cours disciplinaires en anglais en contexte scientifique et sur lesquels il conviendrait de réfléchir : des masters qui tendent vers un anglais véhiculaire, l’absence de dimension culturelle et méthodologique/pédagogique particulière, et les difficultés des enseignants-chercheurs scientifiques à utiliser l’anglais dans leurs enseignements.

5.6.1. Statut de l’anglais dans les masters de l’UPS

44Les enseignants-chercheurs scientifiques n’ont pas de certification en anglais. L’analyse du contenu des discours des responsables montre que la maîtrise de la langue n’est pas leur préoccupation – l’expression « se débrouiller » est souvent utilisée. La langue s’efface devant les contenus qui sont familiers aux étudiants et qui sont transmis par les enseignants dans un anglais dont ces derniers doutent (comme ils l’ont exprimé dans les entretiens). La langue est considérée comme un outil. Si on regarde la manière de concevoir les évaluations, l’anglais scientifique est représenté comme n’étant pas une langue car il se situe dans le domaine des sciences. Truchot (2008 : 125) va jusqu’à dire qu’

[i]l est très probable que de telles formations reposent sur une estimation erronée et donc aberrante de ce qu’est connaître une langue, de ce qu’il est possible de faire avec une lingua franca par rapport à ce que l’on peut faire avec une langue dans laquelle on a été socialisé et éduqué.

45Comme l’affirment Aden & Peyrot (2009 : 18-19),

ce n’est pas parce que les langues « autres que nationales » sont utilisées comme instruments de communication que l’on peut se contenter d’en faire des langues utilitaires. Cela serait sans compter avec la complexité des langues qui ne sont pas de simples outils mais l’expression de formes sociales de pensée.

46Carter-Thomas (2005) rappelle que l’on peut communiquer l’essentiel avec un minimum de mots (de 700 à 1000 mots) et qu’en agissant ainsi la langue risque d’être appauvrie, ce qui à terme peut être dangereux pour la pensée scientifique.

5.6.2. Dimension culturelle et méthodologique

47Le concept d’anglais de spécialité n’est pas connu des enseignants-chercheurs scientifiques. Ils n’envisagent pas la langue de spécialité comme une langue qui se conjugue aussi avec une culture :

si nous parlons de langue-culture de spécialité, c’est bien pour traduire l’idée qu’une simple étude du vocabulaire sans connaissance des traditions, des enjeux, des contraintes liés au secteur d’activité, de l’histoire même du milieu concerné est vaine (Resche 2009 : 49).

48Les enseignants-chercheurs ont trouvé les étudiants étrangers très motivés, voulant s’investir nettement plus que les étudiants français. Ils ont signalé que les échanges avec les étudiants étrangers leur demandaient des efforts tant sur le plan culturel que linguistique.

49Cependant, la compétence culturelle disciplinaire n’est pas intégrée (Taillefer 2004). L’aspect culture sociétale a également son importance dans le concept de langue-culture car, selon les contextes, les enseignants et les étudiants viennent de pays variés, mais peu de responsables en ont tenu compte. Les responsables ont souligné l’aspect culturel (compris ici comme étant la culture française) car ils se sont rendu compte de son importance dans l’enseignement, ils ont agi suite à leurs expériences de terrain. On se rend compte qu’une réflexion sur la culture disciplinaire et sociétale n’a pas été engagée, soit par manque de temps, soit par ignorance. Or, il ne s’agit pas de brader les enjeux de la langue parce qu’elle constitue une difficulté. Il existe aussi une dimension linguistique de la discipline et la transmission se fait au-delà des seuls éléments de la langue de spécialité (Gajo 2009) car l’enseignant-chercheur scientifique « n’enseigne pas dans une autre langue mais avec et à travers une autre langue. Il doit donc intégrer dans sa réflexion des objectifs qui ne sont pas strictement disciplinaires » (Béliard & Gravé-Rousseau 2009 : 67).

5.6.3. Difficultés des enseignants disciplinaires

50Les enseignants-chercheurs scientifiques n’ont pas d’expérience en enseignement d’une spécialité en anglais. Ils ne sont pas très à l’aise sur le plan linguistique même s’ils affirment que la langue n’est pas un obstacle car ils l’utilisent régulièrement. L’analyse du contenu des discours des responsables via l’utilisation des termes de pari et de se débrouiller souligne l’absence de réflexion sur l’enseignement disciplinaire en anglais. Seul le disciplinaire est digne d’intérêt aux yeux des responsables ; il n’y a donc pas de nécessité à avoir un enseignement différent de celui dispensé en français. Par conséquent, le cours de sciences en anglais semble être une traduction de celui en français.

  • 4 Le fait de ne pas pouvoir s’exprimer en L2 de manière aussi riche qu’en L1.

51Le problème serait la transmission orale des connaissances, et l’interaction orale en cours. On se rend compte que les compétences linguistiques relèvent surtout de la compétence communicative ou du facteur « d’aisance » (Kurtán 2003 : 147-150). En effet, les enseignants-chercheurs ont évoqué des difficultés de fluidité, de clarté d’expression, de vocabulaire et de tournures variées pour pouvoir reformuler. En général, ils ralentissent le débit, évitent des mots complexes et s’appuient davantage qu’en L1 sur un soutien visuel (diapositives) (Flowerdew & Miller 1996 : 129-134). On peut évoquer le phénomène de « reduced personality syndrome »4. Des enseignants n’ont pas atteint un niveau de confort et entretiennent parfois une certaine insécurité linguistique qui bloquerait à terme leur plein fonctionnement. Long (1983) et Pica (1994) affirment que le comprehensible input (Krashen 1982) est nécessaire pour l’apprentissage de la langue. On peut donc se demander si les connaissances très spécifiques et nouvelles pour les étudiants que les enseignants transmettent en anglais sont réellement compréhensibles.

5.6.4. Bilan

52Ces masters sont mis en place non pas pour apprendre l’anglais mais parce que la demande d’internationalisation des formations signifie le passage obligatoire à l’anglais dans les enseignements, complété par de la recherche scientifique effectuée en anglais. Or, nous avons vu que les enseignants-chercheurs qui enseignent ne se posent pas de questions sur la langue tout comme ils ne s’en posent pas au cours de leur travail de recherche qui se fait essentiellement en anglais (mais avec des enjeux différents). Comme l’a précisé le responsable du Master MESC, « il n’y a pas de retour sur la qualité de la langue ». Enseigner en anglais certaines spécialités est inéluctable. Certains enseignants comme un responsable non EM ont donc été incités à élaborer des formations en anglais. Cependant, des questions se posent sur leur élaboration car aucun bilan n’a été fait. Le responsable du SM ne s’est pas interrogé sur les aspects positifs ou négatifs du master. La responsable du MASEP a souligné une « expérience humaine fabuleuse et extrêmement enrichissante », ce qui indique qu’il est important de prendre en compte les étudiants. Cependant, il serait utile de s’interroger et de mesurer les implications en termes d’apprentissage ainsi qu’en termes d’organisation pédagogique et politique.

6. Questionnements et suggestions

53La communauté universitaire scientifique de l’UPS se représente l’anglais scientifique comme une langue véhiculaire, dépourvue de culture, et les enseignements disciplinaires sans pédagogie spécifique. Des questions se posent. Par exemple, comme l’anglais est parfois approximatif dans l’interaction ou l’évaluation, ceci peut mettre en doute la validité du diplôme. D’autre part, l’anglais de spécialité, en particulier l’anglais scientifique, et son enseignement ne semblent pas avoir un cadre bien défini.

6.1. Validité du diplôme

54On peut se demander comme Truchot (2008) quelle est la valeur d’un diplôme universitaire de haut niveau dispensé en lingua franca. Car les enseignants-chercheurs scientifiques de l’UPS ne sont généralement pas anglophones : quel est leur niveau linguistique ? Un enseignement de haut niveau est-il compatible avec un anglais approximatif ? On peut donc s’interroger sur la qualité de la transmission des connaissances par les enseignants et sur les problèmes posés par l’évaluation des connaissances dans ces circonstances. On peut aussi questionner le niveau de langue des étudiants. Certains établissements répertoriés par Campus France ont des exigences de niveau en LE qui ne sont pas systématiquement mesurées par un test. L’exigence est fréquemment de 750 au TOIEC (Test of English for International Communication) ou 500 au TOEFL (Test of English as a Foreign Language), ce qui correspond à un niveau équivalent à B1, niveau seuil du Cadre européen commun de référence. Mais elle peut être aussi inférieure (Truchot 2008). Plusieurs questions se posent alors : ces tests garantissent-ils un niveau suffisant pour suivre des formations spécialisées ? Les étudiants ont-ils bien le niveau requis ? Existe-t-il des moyens pour le vérifier ? Les étudiants sont-ils capables de s’exprimer, surtout par écrit étant donné que de nombreux examens se font de cette manière ?

6.2. L’anglais de spécialité : quelle définition ?

55La définition de l’anglais de spécialité n’est pas bien fixée et donc il est complexe de définir le cadre et les objectifs d’un enseignement pour des étudiants LANSAD. Selon Petit, la réalité institutionnelle de l’anglais de spécialité semble cernée par la référence à l’anglais du secteur. En revanche, la réalité épistémologique de l’anglais de spécialité comme discipline de l’anglistique est moins bien circonscrite. Une distinction entre le secteur d’enseignement et le domaine de recherche a été faite. Petit recommande de fixer une définition unifiée de l’anglais de spécialité comme discipline et en propose une qui n’est pas seulement théorique mais aussi pratique, c’est « la branche de l’anglistique qui traite de la langue, du discours et de la culture des communautés professionnelles et groupes sociaux spécialisés anglophones et de l’enseignement de cet objet » (2002 : 2-3). Selon Deyrich (2004), l’approche didactique de la langue de spécialité doit viser un certain type de professionnalité en étant utilitariste. Fries-Verdeil (2009) souligne que l’anglais de spécialité a su développer des enseignements adaptés aux besoins des étudiants et motivants pour les enseignants et pour les étudiants, en visant des objectifs ciblés, et en intégrant des contenus disciplinaires. L’aspect professionnel et l’objectif utilitariste sont aussi à prendre en compte dans la caractérisation de l’anglais de spécialité et de son enseignement.

56Van der Yeught (2012) qualifie les langues de spécialité (LSP) d’objets complexes. Il ajoute que le débat sur les LSP se poursuit et que les LSP sont vues comme « des objets d’étude en soi à l’intersection entre une langue et un domaine de spécialité donné » (idem : 10). Il précise que « [l]e spécialiste de LSP n’est ni un expert de la langue générale ni un expert de la spécialité ; c’est un spécialiste de ces relations où la spécialité s’exprime dans la langue » (id. : 12), ce qui implique la nécessité d’une collaboration entre enseignants.

6.3. L’anglais scientifique

57L’anglais est devenu la langue internationale des sciences et Trouillon se pose cette question : « l’anglais scientifique est [-il] un anglais à part [?] » (2010 : 100). L’anglais scientifique est « une variété particulière d’anglais, en ce sens qu’il est très représentatif d’une communauté de discours qui n’a pas nécessairement l’anglais comme langue maternelle […] » (ibidem). Il conviendra donc de le situer dans cette approche, surtout délimitée par rapport à la spécialité des étudiants en formation dans le système français (Petit 2010). D’autre part, il serait utile de distinguer l’anglais employé par les scientifiques (quotidiennement) de l’anglais scientifique utilisé en cours.

  • 5 Cf. un projet en cours de Chaplier et O’Connell.

58Selon Laffont et Trouillon (2013), l’anglais scientifique est déterminé et influencé par le contexte de production (politique universitaire, place des chercheurs, évolution de la recherche en anglais de spécialité). La dimension sociale du langage est soulignée (Maingueneau 1987) ; une étude linguistique du discours spécialisé pour comprendre le fonctionnement interne de ce discours ne suffit plus, il faut aussi se pencher sur les conditions de sa production et connaître le milieu spécialisé. La seule manière de ne pas reconduire cette difficulté épistémologique, c’est d’intégrer les différents éléments de contextualisation dans la définition de l’anglais scientifique : échelle, niveau de réalité sociale avec les représentations et les croyances des acteurs et objet (Lahire 2012 : 227) en vue de son enseignement/apprentissage5.

6.4. Suggestions

59D’après les propos recueillis, nous avons remarqué que les responsables avaient des difficultés à maîtriser l’anglais et ne parvenaient pas toujours à exprimer clairement où étaient les écueils. Ainsi, un responsable EM n’a pas estimé pouvoir dire à ses collègues d’aller suivre des cours en anglais ; or, un enseignant d’anglais aurait pu conseiller ce collègue sur ce qu’il convenait de faire. Il est donc essentiel d’aider les collègues scientifiques à aller vers l’EMILE en mettant en place une collaboration entre enseignants d’anglais et enseignants de science et de donner un rôle à l’anglais scientifique.

6.4.1. Collaboration

60On constate tout d’abord qu’il n’y a pas de collaboration entre enseignants de sciences et d’anglais, soit parce que personne n’y a pensé (MEE), soit par manque de moyens (malgré une demande du IMIS), soit parce que les responsables ne voient pas comment faire. Un responsable EM a reconnu n’avoir pas eu le réflexe de demander une collaboration qu’il juge utile. Seul le responsable du MAF a collaboré avec un enseignant d’anglais au début pour préparer quelques cours. Un autre responsable EM a précisé qu’il n’y a pas de possibilité de collaboration : les enseignants d’anglais ne pourront pas faire les cours en anglais. Il semble que ce responsable exprime une inquiétude. Un responsable EM va jusqu’à indiquer qu’une collaboration n’est pas utile car les enseignants sont censés être capables d’enseigner en anglais (« ce n’est pas notre problème »). Or, un cours de sciences en anglais devrait constituer un dispositif riche et multiperspectiviste et ne peut se produire que dans la collaboration entre enseignants (Aden & Peyrot 2009) de diverses disciplines. Cette démarche est une solution, mais pas la norme (Marsh 2004).

61Certes, cette collaboration n’est pas simple à mettre en place. Elle dépend de la situation de terrain : problèmes organisationnels/matériels, problèmes financiers mais également problèmes relationnels et « prises de risque » (Aden & Peyrot 2009 : 25). Les difficultés relationnelles (Hutchinson & Waters 1987 ; Barron 2002) peuvent être dues aux différences de personnalité et de pédagogie/didactique en raison des différences entre les matières enseignées (notamment ici science et langue). Chaque enseignant peut s’interroger sur la manière qu’un collègue d’une autre discipline a de faire un cours.

62Afin d’établir une relation de confiance entre enseignants, des réunions entre les responsables (de niveau, de diplômes) du département de langues et ceux de sciences pourraient se faire sur une base régulière et concertée, puis inclure les instances décisionnaires de l’UPS.

6.4.2. L’EMILE et les cours d’anglais scientifique

63Dans un premier temps, en nous appuyant sur quelques pratiques relevées au cours des entretiens, nous proposons de :

  • utiliser des supports en anglais : création d’une redondance voulue entre le canal visuel (diapositives, etc.) et le canal auditif (cours) pour aider les étudiants à mieux comprendre ;

  • pratiquer l’alternance codique en français et en anglais (pour les étudiants français) : procédé utilisé pour surmonter des difficultés et parvenir à communiquer. En effet, l’interaction verbale qui se développe dans un cours enseigné en anglais peut s’appuyer sur une langue ou deux, qui sont autant de ressources aussi bien pour communiquer que pour apprendre (Cambra Giné 2003) ;

  • revoir les évaluations : par exemple, norme de la langue, rédaction des sujets et des réponses en anglais et/ou en français. Ce problème ne concerne pas seulement l’anglais mais également le français. Il s’agit de réaffirmer l’importance de la correction de la langue dans l’expression de la pensée ;

  • fractionner un cours en plusieurs séances qui seront dispensées par plusieurs enseignants de sciences et d’anglais pour réduire le travail de préparation.

  • 6 Fondée sur la part d’investissement de l’enseignant spécialiste du domaine (0 % informateur – consu (...)

64Dans un deuxième temps, on pourrait établir un partenariat entre spécialistes de disciplines selon l’importance de la relation de coopération6 : coopération, collaboration et enseignement en tandem (Dudley-Evans 2001). Le travail de collaboration commencerait par des activités ponctuelles d’anglais scientifique et irait vers l’EMILE, en cas de succès.

65L’élaboration de cours d’anglais scientifique en choisissant des objectifs ciblés en fonction des besoins des étudiants et en intégrant les points évoqués en 6.3. permettrait une meilleure intégration entre apprentissage de l’anglais en contexte et enseignement de contenus disciplinaires. Les enseignants d’anglais pourraient établir des contacts avec les collègues de sciences, puis organiser des activités ponctuelles communes : présentations orales en anglais, soutenances de stages partiellement ou totalement en anglais.

66Si ces expériences sont positives, nous proposons une organisation de cours disciplinaires en anglais avec une approche EMILE (§2.1). Par exemple, des TP de chimie en anglais, qui sont souvent en double encadrement, se dérouleraient en présence d’un enseignant d’anglais :

  • ce dernier participe au TP en français et prend des notes sur les problèmes linguistiques ou pragmatiques rencontrées par les étudiants ;

  • il tient compte de l’input (académique), du traitement des contenus dans les phases de réception et de production, et de l’interaction qui sont les principales caractéristiques de l’EMILE (Wolff 2003) ;

  • les deux enseignants élaborent ensemble le TP en anglais et le cours d’anglais de spécialité qui vient enrichir ce TP.

67Des cours d’anglais scientifique plus spécialisé pourraient se faire avec des enseignants d’anglais ayant une formation ou une expérience professionnelle en sciences (anglophone ayant fait des études de sciences, ingénieur). L’intervention dans des masters demande de comprendre les concepts sans être enseignant de spécialité. Car le langage est un moyen de représenter la réalité. Comprendre un mot revient à savoir ce qu’il représente, ce à quoi il se réfère (concept). La fonction référentielle du langage est donc centrale. C’est, certes, une mise en place complexe, mais à étudier.

68Dans un troisième temps, il conviendrait d’envisager des cours d’anglais pour les enseignants et les étudiants, étant donné les niveaux d’anglais souvent peu satisfaisants :

  • une évaluation formative des étudiants permet d’organiser des cours de soutien. On a vu que dans un master partiellement en anglais (MASEP), certains étudiants français pouvaient se retrouver en échec faute de ce type de cours ;

  • des accompagnements individuels personnalisés des enseignants de sciences constituent aussi une bonne solution.

Conclusion

69L’introduction de l’anglais dans les enseignements disciplinaires donnera de nouveaux rôles aux enseignants et un nouveau type de contrat pédagogique s’établira avec les étudiants. Une réflexion sur les remédiations et sur les dispositifs d’enseignement disciplinaire en anglais est primordiale car les enjeux sont grands. Selon M.-F. Narcy-Combes (2008 : 138), l’enseignant de langue « confère une légitimité politique, sociale, culturelle » à la langue. En parlant cette langue, chaque individu lui donne une place. Narcy-Combes ajoute que « les conséquences humaines, écologiques et économiques sont considérables » et propose que chaque acteur (enseignants et étudiants) développe sa propre responsabilité épistémologique. Or, une remise en question des croyances et des représentations des pratiques d’enseignement en anglais des enseignants de sciences ne se fera pas sans résistance dans une culture institutionnelle scientifique. Dans ces conditions, des questions se posent : est-ce que « le rang social de l’enseignant lui permet […] de se remettre en question ? Culturellement, en ressent-il même le besoin ? Si oui, et s’il peut avouer d’éventuelles difficultés linguistiques, y a-t-il une tradition de développement professionnel ? » (Kurtàn 2003 : 149). Les réponses à ces questions sont à examiner à travers une étude ultérieure plus approfondie sur les représentations et les croyances de la communauté scientifique comme celle de l’UPS. Une analyse systémique est à réaliser suite à cette première approche auprès des responsables.

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Yin, R.K. 1984. Case Study Research. Design and Methods. Londres : Sage Publications.

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Annexe

Annexe 1. Questions (entretiens) sur les masters en anglais à l’UPS

Responsable
Pourquoi des cours en anglais dans cette spécialité ?
Financement ?

Étudiants
Sélection
Critères  sur niveau de langue ? Spécialité ? Nombre ?
Nationalités ?
Langues ?

Enseignants
Nombre ?
Langue maternelle ?
Niveau d’anglais ?
Sélection ? Critères ?
Spécialiste de la discipline ?
Enseigné à l’étranger ?
Motivation ?
Difficultés ?

Cours
Objectif disciplinaire ? Linguistique ?
Collaboration entre enseignants ?
Aspect culturel intégré ?
Compétences interactionnelles ?
Méthodologie ?
Alternance codique ?

Évaluation
Type ?
Langue évaluée ? Critères ?

Effets
Positifs/Négatifs chez les enseignants ?

Annexe 2. Bilan des réponses – Erasmus Mundus et autres diplômes

MEE

MESC

SM

MTCCM

IMIS

MAF

MASEP

Nombre enseignants

12

10

X

20

X

X

20

Sélection enseignants

Autosélection

Autosélection

Responsable

X

Autosélection

X

Responsable

Sélection étudiants

Critères EM

Spécialité et anglais

Spécialité

Objectif master

Attirer étudiants étrangers

Satisfaire employeurs

Maintenir certaines spécialités

X

Attirer étudiants et enseignants étrangers

Objectif cours

Disciplinaire

Culturel

Cours de français

Non, réflexion

Non, pas d’idée

Non

Environnements industriels en contextes

Cours de français

Prise de conscience

Méthodologie spécifique

X

Double encadrement

Traduction des cours

X

Non

Supports en anglais

Non

Collaboration pratiquée

Non

Tentative

Au début, pour supports

Non

Anglais véhiculaire

Explicite

Implicite

Évaluation

Anglais et français

Anglais ou français (réponses)

Anglais ou français (questions)

X : pas d’informations

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Notes

1 TOEFL-iBT (90); IELTS (6,5) ; « Certificate of Proficiency in English » ou « Certificate in Advanced English ») et documents en anglais : formulaire, CV, lettre de motivation.

2 L’acronyme du master entre parenthèses fait référence aux déclarations du responsable du master en question.

3 Comme ceux des Masters MEE et MESC.

4 Le fait de ne pas pouvoir s’exprimer en L2 de manière aussi riche qu’en L1.

5 Cf. un projet en cours de Chaplier et O’Connell.

6 Fondée sur la part d’investissement de l’enseignant spécialiste du domaine (0 % informateur – consultant – collaborateur – collègue 100 %).

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Pour citer cet article

Référence papier

Claire Chaplier, « Des cours de sciences en anglais à l’EMILE : état des lieux, réflexion et recommandations »Recherche et pratiques pédagogiques en langues, Vol. XXXII N° 3 | 2013, 57-79.

Référence électronique

Claire Chaplier, « Des cours de sciences en anglais à l’EMILE : état des lieux, réflexion et recommandations »Recherche et pratiques pédagogiques en langues [En ligne], Vol. XXXII N° 3 | 2013, mis en ligne le 08 octobre 2013, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/apliut/3867 ; DOI : https://doi.org/10.4000/apliut.3867

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Auteur

Claire Chaplier

Claire Chaplier est Maître de conférences au Département Langues et Gestion de la Faculté de Sciences et d’Ingénierie à l’Université Paul Sabatier Toulouse III, où elle enseigne l’anglais et est responsable du Master 1 « Mathématiques Ingénierie Applications » (MIA). Elle s’intéresse aux tâches et aux dispositifs, aux fonctions de l’enseignant et de l’apprenant dans l’enseignement/apprentissage de l’anglais ainsi qu’aux spécificités de la formation LANSAD en sciences. Elle est membre de l’équipe du LAIRDIL (Laboratoire inter-universitaire de recherche en didactique des Langues) à l’Université Paul Sabatier Toulouse III. Elle a aussi une formation d’ingénieur en génie atomique.
claire.chaplier@univ-tlse3.fr

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