1La réussite scolaire des filles est l’aboutissement d’évolutions lentes mais certaines, au fil des décennies, relatives à l’émancipation des filles et des femmes en France. Depuis le début du siècle dernier, les filles ont massivement accédé à l’instruction publique tout d’abord dans l’enseignement secondaire, puis dans l’enseignement supérieur. À partir des années 1950 et surtout 1960, la prolongation générale de la scolarité a profité aux filles, qui ont alors commencé à rattraper leur retard sur les garçons. Très minoritaires au début du siècle, les étudiantes ont égalé en nombre les étudiants à partir de la fin des années 1970, pour les dépasser ensuite. En moyenne, entre 1900 et 1980, la croissance des effectifs étudiants s’est effectuée au rythme de 3 % l’an pour les hommes et de 8 % pour les femmes (Baudelot et Establet, 1990). Les positions relatives des garçons et des filles face à l’école se sont donc profondément modifiées, et ce, quelles que soient les classes sociales.
2Cependant, cette explosion scolaire et estudiantine ne s’est pas accompagnée d’un bouleversement majeur dans les voies de prédilection des filles comme des garçons. Depuis quarante ans, si la part des jeunes filles a fortement progressé dans les disciplines où elles étaient minoritaires (droit, médecine, gestion…), elles ont également continué de renforcer leur présence – et les garçons leur absence – au sein des filières les plus féminisées de l’université (lettres et sciences humaines). En revanche, à l’exception des filières de santé, elles ont très lentement progressé dans les filières scientifiques et techniques. Ainsi, on assiste encore aujourd’hui au paradoxe selon lequel les jeunes filles qui connaissent globalement une meilleure réussite dans la sphère éducative continuent à s’orienter vers des filières moins prestigieuses et moins rentables sur le marché du travail (Épiphane, 2017).
3Dès les années 1980, cette absence relative des jeunes filles dans les filières scientifiques et techniques va apparaître, peu ou prou, comme le facteur explicatif d’une bonne part des difficultés d’insertion professionnelle des jeunes femmes et des différences observées sur le marché du travail entre les jeunes femmes et hommes. L’idée développée, de façon plus ou moins implicite, est celle d’une reproduction dans le système productif de la ségrégation opérée en amont, dans le système scolaire. Ne suivant pas les mêmes formations, les jeunes femmes occuperaient logiquement des professions différentes. Les mécanismes d’allocation des individus dans les différents groupes professionnels prolongeraient donc, mécaniquement, la ségrégation éducative. Ce relatif consensus autour de la conversion de la ségrégation éducative en ségrégation professionnelle déborde largement le cadre scientifique et le milieu de la recherche et va aussi imprégner les principales politiques publiques (Épiphane, 2016).
- 1 Sources : Céreq – Génération 2010 interrogée en 2013.
4Ainsi, l’injonction selon laquelle les jeunes filles doivent s’orienter vers les études scientifiques et techniques va être largement relayée, au fil des années, par ceux et celles en charge de l’élaboration des politiques en faveur de l’égalité des sexes. En témoignent le grand nombre de conventions interministérielles signées depuis plus de trente ans. Pour autant, ces impulsions des pouvoirs publics ne seront pas couronnées de succès puisqu’aujourd’hui, en France, non seulement les jeunes filles continuent d’être sous-représentées au sein de ces filières, parmi les étudiants en sciences et techniques, mais on note leur quasi-absence dans celles qui conduisent aux meilleurs emplois et salaires (elles représentent moins de 17 % des personnes diplômées en mécanique, électricité, automatisme et informatique1).
5On assiste donc à deux phénomènes : d’un côté, une réussite et une expansion scolaire des jeunes filles qui relèvent davantage de mouvements sociaux profonds que de lois ou de circulaires ; de l’autre, des tentatives de réformes éducatives qui demeurent sans grand effet, en raison, essentiellement, de la persistance de normes de genre que les réformes les plus volontaristes ne parviennent pas à contrer. Ces normes s’appuient sur des stéréotypes qui associent encore, de nos jours, certaines compétences « féminines » ou « masculines » à certains domaines de formations. Or l’heure des choix d’orientation des jeunes filles et garçons correspond à un moment de leur vie, celui de l’adolescence, où il devient nécessaire de se prouver à soi-même et de prouver aux autres que l’on est bien une fille « féminine » ou un garçon « masculin ». Ces choix vont alors s’appuyer sur les stéréotypes de sexes et, loin de suivre les injonctions des politiques publiques, vont être instrumentalisés par les adolescent.e.s pour apporter « la preuve à soi-même et aux autres que son identité sexuée est "normale", conforme aux normes de sexe, que l’on est une vraie fille ou un vrai garçon » (Vouillot, 2014).